ART | EXPO

Paysages a circadiens

27 Mar - 13 Mai 2015
Vernissage le 27 Mar 2015

Hicham Berrada crée ici deux paysages. Azur, suite de toiles baignées de cobalt, explore le changement d’état de ce minerai sous la chaleur et l’humidité. Mesk-ellil présente, dans une lumière bleue, un jardin plongé dans le clair-obscur, dans ce moment où la nature s’offre dans la pénombre et dégage en secret ses parfums subtils.

Hicham Berrada
Paysages a circadiens

Hicham Berrada transforme l’espace de la galerie en paysage sensoriel. Les sons, l’humidité, la température, le clair et l’obscur, l’azur et la nuit, les images et le souffle des fleurs surgissent et se dérobent, s’effacent et se répandent, offrant au visiteur une expérience inédite.

Or, ce script, qui croise science et poésie, intuition et connaissance, s’articule autour d’une mécanique temporelle inversée. L’artiste conçoit une savante chorégraphie en bouleversant les conditions climatiques et le rythme circadien des plantes, afin de créer deux paysages, Azur et Mesk-ellil, qui inventent de nouvelles formes de vie aux plantes et minerais.

Hicham Berrada met en scène dans son travail les changements et métamorphoses d’une nature activée chimiquement. Il invite ainsi à faire l’expérience de la présence inédite des énergies et des forces émanant de la matière.

A la villa Médicis (2013-2014), il continue ses recherches filmées sur la matière et crée des morceaux de paysage en activant les minerais contenus dans différentes terres. En témoigne Azur, suite de toiles baignées de cobalt qui explore le changement d’état de ce minerai. Envahi par la chaleur et l’humidité, le cobalt se transforme en matière vibrante. Dans ce moment extraordinaire de métamorphose picturale, d’un état de la matière vers un autre, un ciel pur et grand s’élève progressivement à la surface de la toile. Or, ce paysage aérien s’envole ou se fixe au gré de la température. Chaud, l’azur se répand. Froid, il se dissout dans la lumière du ciel.

De l’azur à la lumière, cette partition en deux temps, qui se déplace de tableau en tableau, selon des séquences temporelles courtes et précises, évoque la course du soleil vers d’autres rives. Cette rêverie azurée réunit donc le minerai à la lumière, la terre au ciel. Substance terrestre, le minerai devient, ici, un astre inversé. «Une lumière de la terre». Cette correspondance n’est pourtant pas symbolique; elle témoigne de la richesse de ce monde enfoui dans le secret de la terre, de ce «travail énergique des dures matières» qui s’anime, selon Gaston Bachelard, de «beautés promises» (Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Paris, Librairie José Corti, [1948] 2004, p. 13).

Face à cette unité mystérieuse de la matière au ciel, Hicham Berrada nous invite, en bas, à une rêverie des essences. Il dessine, dans une lumière bleue, un jardin plongé dans le clair-obscur, dans ce moment où la nature s’offre dans la pénombre et dégage en secret ses parfums subtils.

Ce théâtre botanique, où se mêle rêve et réalité, nature et artifice, se déploie sous la forme d’un pavillon de verre constitué d’allées de Mesk-ellil (parfum nocturne ou musc de la nuit). Fine et précieuse, cette fleur, étoile à cinq pétales, manifeste le jour sa beauté en blanc. La nuit, dans le bleu du soir, elle s’ouvre, se redresse et diffuse son ester. Sensuelle et douce, piquante et envoûtante, cette odeur qui nous dit des mots exhale toute la nuit durant ses arômes.

L’œuvre invite ainsi à emprunter le chemin de ces émanations. Pour y parvenir, l’artiste agit avec lyrisme et poésie sur les paramètres climatiques et le rythme circadien. De jour, l’obscurité tombe artificiellement sur la closerie. De nuit, l’éclairage horticole crée la luminosité nécessaire aux plantes. Ainsi, ce jardin, au bas duquel coule un ruisseau, est fermé sur son propre monde. Véritable fabrique de rêve, cette transfiguration du jour en nuit, cette vie inversée des fleurs, cette profusion de parfums, éveillent sens et affects du visiteur et le transportent dans un ailleurs.

Irréelle et poétique, cette petite parcelle de monde constitue avec Azur un écosystème clos. Ils se constituent l’un par l’autre. L’humidité émanant des plantes profite à Azur, et réciproquement la chaleur que propagent les tableaux agit en retour sur le jardin. De fait, cette exposition qui s’articule en scènes successives se fécondant les unes aux autres, invite à une promenade, à un voyage poétique dans le temps et dans l’espace, entraînant le visiteur dans un monde à la fois vivant et inerte, dans des régions inconnues où nature, matière et création se répondent.

Mouna Mekouar

Né en 1986 à Casablanca au Maroc, Hicham Berrada vit et travaille à Paris.

Vernissage
Vendredi 27 mars 2015

critique

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