ART | CRITIQUE

Paysages

PAnne Lehut
@03 Juil 2011

Six artistes sont réunis autour du genre pictural du paysage. Comment parler du genre sorti de son médium d’origine, la peinture? Que représente la notion de paysage sans une vision religieuse qui le rattachait automatiquement au Créateur? En 2011, sommes-nous condamnés à ne plus parler que de paysages industriels?

L’exposition «Paysages» n’exclut aucun mode d’expression — peinture, photographie, sculpture, installation — et aucune interprétation du genre.

Ainsi, c’est un paysage mental qui s’offre d’emblée au visiteur, avec une nouvelle toile de Marlène Mocquet, La Barrière d’allumettes. Ce n’est qu’assez tard que la notion de paysage mental a émergé, avec le romantisme et Caspar David Friedrich en tête. Représenter la nature, avec subjectivité, pour traduire un état intérieur.
Avec Marlène Mocquet, la nature même disparaît pour laisser place à une topographie purement cérébrale, totalement inventée, que l’on commence à bien connaître. Sur une toile blanche de grand format, on retrouve ses personnages, dont un plus gros qui semble cracher de la peinture, et qui avale au passage une petite fille, tandis que se dresse devant lui une barrière d’allumettes, ridiculement petite. De l’autre côté, des trous noirs. Partout, des visages semblent émerger. Comme souvent, la peinture paraît être son propre sujet: paysage pictural, littéralement.

Parmi les six artistes ici réunis, la moitié sont des photographes. Sans aucun doute, le paysage est devenu un genre photographique. La première photographie, réalisée par Nièpce en 1826 depuis sa fenêtre (Point de vue du Gras), n’est-elle pas précisément un paysage? Rappelons également que pour «représenter le paysage français des années 1980», c’est à des photographes que la Datar (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) a passé commande.
Les trois photographes de l’exposition abordent différemment le paysage, jouant toujours avec les codes qui en font des images souvent stéréotypées, véritables cartes postales.

Véronique Ellena, ancienne pensionnaire de la Villa Médicis, présente La Valleuse d’Antifer (2009), issue d’une série consacrée aux paysages. Le sujet choisi — un site tout proche d’Étretat, préservé des constructions — est typiquement un sujet à carte postale. La photographie montre, au premier plan, une falaise recouverte de verdure. Au loin, la mer.
Au premier coup d’œil, l’image est banale. Mais à y regarder de plus près, le doute s’installe. L’herbe, aplatie par le vent, semble presque peinte. On en sent la matière, presque du bout des doigts. C’est bien la pratique photographique qui force notre regard à s’attarder sur l’image: Véronique Ellena travaille à la chambre. Lentement. D’où cette texture, ce velouté incroyable que le long temps de pose fait advenir.

Le temps intervient également dans les paysages de Vincent J. Stoker: il photographie les friches industrielles, les espaces vacants, toujours désaffectés, en ruine. Cette série, dont l’image présentée s’intitule Hétérotopia, en référence à ces «lieux autres» définis par Michel Foucault.
S’il y a quelque chose de très postmoderne dans cette esthétique de la ruine, il y a aussi du paysage, au sens presque classique du terme car ce qui intéresse Vincent J. Stoker, c’est la façon dont la nature reprend ses droits dans cette architecture bétonnée à l’abandon, totalement symétrique et donnant un peu le vertige car la perspective y semble infinie. Finalement, derrière ce paysage des plus industriels, c’est un autre genre pictural que l’on retrouve, celui des vanités.

Le troisième photographe de l’exposition est Guillaume Janot avec Ecostram, Zoo de Vincennes, hiver 2008. La série Ecostream a trait à ces «faux» paysages qui sont fabriqués pour nos loisirs. Ici, donc, le rocher du zoo de Vincennes, qui tente de reconstituer un environnement naturel pour des animaux captifs. Là encore, le photographe joue avec les genres. Son image fait partie de ce qu’il appelle des «images réflexes»: on reconnaît le type «paysage» au premier coup d’œil. Mais tout s’y montre très vite artificiel. Et c’est paradoxalement le ciel, le seul élément non fabriqué, qui semble finalement le plus faux, trop bleu pour être vrai. Guillaume Janot joue sur l’ambiguïté de la photographie, sans que l’on sache s’il dénonce cette artificialité ou s’il y concourt.
Qu’est devenu le paysage? Un «autour de soi» dont les artistes rendent compte et renouvellent la vision, ou un genre totalement construit, presque prêt à l’emploi?

Les œuvres de Charles Lopez et Guillaume Linard-Osorio abordent le paysage de façon moins directe, peut-être, interrogeant moins la catégorie en elle-même qu’un rapport à la création.
Dans Kamiyama, Charles Lopez compose une petite montagne avec un millier de photocopies qui ne représentent rien d’autre… que des montagnes. Les photocopies, noir et blanc, sont froissées et assemblées, pour constituer un nouveau paysage, construit en quelque sorte sur des images ratées. Paysage déceptif.

Guillaume Linard-Osorio, formé à l’architecture et au design, présente Contreplaqué fossile (2008). Deux planches de bois contreplaqué sont adossées au mur. Sur chacune d’elle, le bois forme un nœud. Définitivement lié au paysage, le temps est ici encore un élément principal puisque le cartel précise que ces nœuds n’en sont pas vraiment: ce sont en fait des bois fossilisés, vieux d’environ 70 millions d’années, tandis que le bois contreplaqué, lui, n’a que trois ans d’âge. Confrontation totalement anachronique, l’œuvre donne à voir deux états de transformation, l’un naturel et lent, l’autre forcé et rapide.

«Faire du paysage», c’est aussi parler de la façon dont on le construit. L’histoire de l’art a vu la notion de paysage évoluer, avec le monde des idées mais aussi avec celui des techniques. Cette exposition montre que l’histoire n’est pas terminée.

Å’uvres
— Véronique Ellena, La Valleuse d’Antifer, 2009. Photo couleur. 96 x 120 cm
— Guillaume Janot, Ecostream, Zoo de Vincennes, hiver 2008, 2009. Photo couleur. 83 x 56 cm
— Charles Lopez, Kamiyama, 2009. Structure bois, photocopies. Dimensions variables
— Marlène Mocquet, La Barrière d’allumettes, 2011. Technique mixte sur toile. 200 x 200 cm
— Vincent J. Stoker, Hétérotopie #IEIVII, série Heterotopia, 2010. Photo couleur. 135 x 170 cm
— Guillaume Linard-Osorio, Contreplaqué fossile, 2008. Contreplaqué (3 ans), bois fossilisé (70 millions d’années). 250 x 120 cm

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