ART

Pay the debt to nature

PPierre-Évariste Douaire
@28 Mar 2011

Kaws débarque à Paris. Star du Street Art, son exposition suscite une vraie attente de la part d’un public jeune, urbain et curieux. Néanmoins il est dommage que des artistes français, comme Space Invader et Zevs, ne jouissent pas d’une telle considération dans leur propre pays.

En tant que Street Artist, Kaws est une référence sur la planète graffiti et le fashion world. Son succès, il le doit à ses détournements publicitaires dans la rue mais également à sa persévérance et à ses talents de graffiste. Pourtant, cette scène para-artistique, vieille pourtant de quinze ans, n’a toujours pas droit de cité en France hormis quelques exceptions. La doyenne n’est autre que la couturière Agnès b. et sa galerie du jour, depuis le début des années 80, viennent ensuite les galeries Patricia Dorfmann, Magda Danysz et LJ. Ce constat montre que les talents issus du macadam accèdent rarement aux cimaises. Il est encore plus rare qu’ils soient consacrés dans l’hexagone. L’exposition de l’artiste américain dans une des plus grandes galeries françaises est à considérer comme un adoubement.

Mais cette situation n’existe qu’aux pays des fromages et par ricochets des étiquettes à la vie dure. Outre Manche, les anglais ont misé, aux deux sens du terme, sur un Banksy avec le succès que l’on sait. Les prix s’envolaient avant la crise financière. A Londres, il est considéré comme le Robin des bois du pochoir. Outre-Atlantique, les américains n’ont pas eu peur d’aimer les affiches et les stickers d’un jeune fan de skateboard. Shepard Fairey s’est illustré en 2008 en illustrant le portrait de campagne du candidat Barack Obama, aux élections présidentielles des Etats-Unis. Cette image n’a rien à envier aux pochoirs célèbres de Che Guevara! Même si depuis, l’artiste à perdu le procès contre l’auteur de la photographie qu’il a utilisée. En France, alors que des talents aussi prometteurs ont vu le jour à la fin des années 1990, les galeries, les institutions, les critiques, mais aussi les artistes eux-mêmes n’ont pas su promouvoir cette scène issue autant de la rue que des écoles d’art.

Kaws, malgré ses talents indéniables, reste un artiste décoratif. Comprenant l’intérêt et la passion que nous avons pour les personnages, il les décline sous forme de toys, c’est-à-dire de figurines, en nombre limité ou en dimension géante. Travailleur acharné, ses tableaux sont impeccables et ne tolèrent aucune hésitations ni bavures. Ils sont par là même décevants, car ils se donnent à voir immédiatement, totalement. Les châssis découpés, les oeuvres en diptyques et en triptyques montrent des combinaisons qui ne sont que des déclinaisons. Même en bon faiseur, son personnage à tête de Bob l’éponge, laisse quelque peu perplexe.

Mais l’enthousiasme et la passion qu’il suscite n’est pas feinte. Dès les premières heures du vernissage, une foule de jeunes gens répondait présente. Habillés comme dans les années 1980, ces garçons et ces filles, casquettes de baseball sur le côté, chemises de bucheron à carreaux, baskets montantes fluo bicolores, faisaient le pied de grue pour approcher la star. Equipés des derniers réflex numériques ou de leur vieux argentiques vintages, ils étaient là pour attendre celui qu’il guette depuis plusieurs semaines. Pour eux, la Mecque ce samedi après midi semblait s’être déplacé au premier étage d’un hôtel particulier du XVIIe siècle, en plein Marais. Cette culture n’est pas une mode. Elle existe depuis quarante ans. Mais depuis internet, elle est devenue planétaire. Les artistes comme leurs adeptes sont de vrais globe-trotters. Les marges entre la mode, le design, la musique et les beaux-arts s’escamotent et s’interpénètrent.

Pour conclure, il est dommage qu’en France des artistes comme Space Invader ou Zevs ne soient pas plus reconnus par leurs pairs. Ils doivent, comme les artistes du Nouveau réalisme, aller chercher leur légitimité à l’étranger. Space Invader expose à Londres dans la même galerie que Banksy, chez Lazerides. Outre qu’ils se connaissent depuis leur début, ils ont en commun le même besoin d’anonymat. Le parisien mordu de mosaïques et de jeux électroniques est étonné quand il parle d’égal à égal à Damien Hirst, et que son interlocuteur respecte son œuvre. La locution street devant le mot artiste n’a pas cours chez les anglo-saxons, mais les particules en France ont toujours cours. Pourquoi alors les grosses maisons françaises ne s’intéressent-elles pas plus à cette génération qui a réinventé l’art du graffiti en l’an 2000, en popularisant de nouvelles techniques?

Emmanuel Perrotin qui connaît très bien cette scène depuis le début, l’apprécie plus outdoor qu’indoor. Surtout après la première exposition de Space à la galerie Almine Rech en l’an 2000. Dommage qu’un galeriste ami avec André — tagueur, patron du magasin Black Bock au Palais de Tokyo, du Baron et acolyte nocturne de Zevs et Space — n’ait pas été sensible à cet art de la rue plus tôt. On peut regretter qu’un organisateur aussi talentueux que lui, capable d’accompagner ses artistes jusqu’aux sommets — on pense évidemment à Murakami et à Cattelan — ne se soit pas préoccupé de cette scène prometteuse et historique. Il était l’un des rares à pouvoir la faire briller internationalement. Raté. Perfide Albion! Comme toujours, ce sont les anglais qui ont tiré les premiers. Bravo Banksy, exit les frenchies.

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