ART | CRITIQUE

Paul Pagk

PGéraldine Selin
@12 Jan 2008

L’important n’est pas de reconnaître des choses dans l’œuvre, mais de considérer ce qui fait œuvre. L’œuvre n’est pas un ensemble de signes qu’il s’agirait de déchiffrer dans un rapport externe à l’art. Elle est elle-même un monde en train de se faire. Quelque chose par lequel l’humain advient.

La galerie Dupont expose Paul Pagk. Elle présente une quinzaine de dessins (2001-2002) réalisés au crayon et pastel sec. Sur les murs blancs, on aperçoit des zones de couleur concentrées dans des feuilles de papier, comme ancrées dans la blancheur, mais aussi des traits de crayon qui font penser au dessin d’architecture. Comment tenir ensemble la géométrie et l’art du dessin ? Il s’agirait de géométrie du dessin plutôt que de dessin de géométrie. Un dessin qui prendrait à la géométrie pour aller vers autre chose. Comment parler de ces dessins ? Comment voir ces œuvres ?

Il y a chez Paul Pagk des choses qu’on peut nommer, et d’autres qu’on ne peut pas nommer ou qui sont difficilement nommables. Ces choses à côté des volumes dessinés à tendance géométrique qui ne sont pas du tout géométriques. Ces choses derrière les lignes qui ne sont jamais des segments. Ces choses sous le côté d’un triangle qui font qu’il n’est pas un triangle. L’important n’est pas de reconnaître des choses dans l’œuvre, mais de considérer ce qui fait œuvre. L’œuvre n’est pas un ensemble de signes qu’il s’agirait de déchiffrer dans un rapport externe à l’art. Elle est elle-même un monde en train de se faire. L’intérêt réside dans ce qu’on ne sait pas voir. Il s’agit d’aller vers ce qu’on ne connaît pas qui est la vision du monde de Paul Pagk, qu’il découvre, qu’il invente, par laquelle il s’invente. Quelque chose par lequel l’humain advient. Le désir de nommer nous fait dire ce qu’on ne sait pas nommer. Des choses qu’on ne voit pas encore, qu’on ignore, des choses qu’on sait qu’on ne connaît pas. Des choses au sein de l’innommable qui arrivent. Des choses qui montrent l’ « indicible, qui ment » de Mallarmé.
Comment deux couleurs peuvent créer une profondeur de nuances.
Comment une ligne peut être infinie dans son faire.
Comment un trait peut être allusif en faisant tout pour ne pas l’être.
Comment le pastel peut faire sable et poussière quand il est sec.
Combien le dessin et la peinture sont des catégories qui mentent.
Qu’une ligne ne délimite pas forcément un volume, qu’elle peut être traversée ou gagnée par le pastel, qu’elle peut s’appuyer sur la couleur.
Qu’en étant reprise, elle n’est pas répétée parce qu’elle n’est déjà plus la même ligne.
Qu’une juxtaposition de lignes ne fait pas un ensemble, qu’une ligne peut être une zone, une région.
Que le pastel joue sur l’effet sablé du crayon.
L’effet grain du papier. La lumière du papier tellement forte quand du grain ne touche pas le pastel.
Que les lignes viennent se mesurer, se frotter au pastel, flirter avec lui dans l’ombre ou la lumière.
Que l’intensité d’une rature peut faire qu’elle ne rature rien, qu’elle déploie un fil, croise les fils, les attache, les maintienne à distance.
Qu’une griffure du papier peut trembler dans sa vitesse.
Qu’une ligne peut être interminable sur quelques centimètres.
L’effet gras du pastel sec.
L’imprégnation du papier dans son épaisseur, le velouté d’une couleur.
La couleur quand elle n’est pas couleur d’un objet. La lumière de la couleur. Comment deux pastels peuvent créer de l’air dans la couleur.
Comme les couleurs de l’air, l’air de la couleur.
Comment un gommage peut ne pas estomper. Comment ce qui est gommé fait la lumière.
Comment un rouge peut être froid.
Combien la rectitude peut être fragile.
Comment le pastel sable la ligne.
L’ombre d’un événement qui vient, le balayage du grain.
L’ombre d’un objet si elle est à la fois la matière de l’objet, la façon dont il arrive, et ce qu’il fait en arrivant.
Les lignes aux allures si simples qui s’accompagnent, se surveillent, se filent, parfois extrêmement serrées comme dans une portée. Une portée qui serait le mouvement des lignes au lieu de l’inscription des notes, comme si les lignes de la portée étaient les notes. Les lignes qui strient le pastel un peu comme un parchemin. Une couleur qui s’en va en passant les doigts, la brume d’un paysage de lignes.

Paul Klee a fait « rêver une ligne » (Michaux). Paul Pagk voit la géométrie quand elle ne tient plus qu’à un fil. Du pastel et des lignes suspendus à un fil. Un grain de sable qui travaille le fil et son effet tenseur. Des lignes porteuses qui ne portent rien. Des lignes qui construisent sans le vouloir, qui échafaudent pour la lumière.

Paul Pagk
— April, 1988. Huile sur toile. 163 x 203 cm. — Sans titre, 2001-2002. Quinze dessins, crayon et pastel sec sur papier. 56 x 74,5 cm et 57 x 76 cm.

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