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Patrick Zachmann

C’était au temps où les «quartiers» s’appelaient banlieue, où l’on n’avait pas peur des mots ou des concepts. Le temps des voitures carrossées en ferraille, de la saturation des barres d’HLM, celui des zones pavillonnaires et des jardins ouvriers. Car il y avait quantité d’ouvriers à l’époque, en France.

À part quelques destructions symboliques de tours un peu plus délabrées que les autres ou d’immeubles gâchant le paysage, la gauche, alors au pouvoir, n’a pas fait grand chose en matière d’architecture ou d’urbanisme, pensant, quoi qu’il en soit, pouvoir garder «captif» son électorat.

Cette tranche de vie d’une trentaine pas vraiment glorieuse, Patrick Zachmann la restitue de manière kaléidoscopique, en présentant 164 tirages de diverses séries, de différents formats (panoramiques, 24 x 36 ou 6 x 6), couleurs, brillances et dates au troisième étage du bâtiment colonial construit en 1931, récemment recyclé en Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Autrement dit, en cité des cités.

Le photographe traite, depuis longtemps déjà, de thèmes liés aux questions d’identité et de mémoire. Bien que, selon ses propres dires, il ne soit «pas un photographe de l’action mais de ce qui ne peut pas être dit», Patrick Zachmann s’est rendu de nombreuses fois «sur le terrain», comme tout photoreporter qui se respecte, un peu aussi en ethnologue.

Il a rapporté de «là où les autres ne vont pas» non du tout les clichés attendus sur la mélancolie qui se dégage de ces lieux et non lieux; non plus une vision optimiste de ce qui se situe en marge du pays et de l’arrière-pays; mais des portraits d’individus qui se révèlent, qui sont de vrais personnages; des photos de groupes formant des familles pas trop décomposées; des paysages à l’esthétique improbable mais dont il faut bien garder trace pour les futurs sociologues, les historiens d’art, les historiens tout court.

Il va sans dire que le photographe est en empathie avec ses modèles. De Marseille à Dunkerque, du neuf-trois au neuf-quatre, il est reçu chaleureusement, comme un familier, pas comme un étranger.

Plusieurs sous-thèmes rythment le parcours en accordéon de cette rétrospective: Vu d’ailleurs, No man’s land, Paysages de la banalité, Portraits de familles, Jardins ouvriers, La Pose, Lieux de prière, Maliens, ici et là-bas, Quartiers Nord de Marseille, Implosion, Enquête d’identité.

Techniquement : rien à dire, tout est maîtrisé, que ce soit le cadre, le focus ou le travail de labo. Formellement parlant, les visiteurs trouveront leur compte. Les amateurs de paysages urbains et de kitsch seront comblés par les formats allongés pris en 1997-1998 dans le Val-de-Marne (Les Enseignes de la zone commerciale de Créteil, 1998 ; Le cimetière de Charenton, 1997 ; Les Pavillons de Champigny, 1997 ; Le Moulin d’Ivry, 1998).

Les nostalgiques du noir et blanc apprécieront la série du Nord de la France (Banlieue de Dunkerque, 1989) et le reportage sur la propre famille de l’auteur, minoritaire à double titre — juive et immigrée. Les belles Africaines en boubou flambant neuf, captées sur fond de carrelage seventies de style Cogedim, séduiront les visiteurs les plus blasés.

La séquence émotion est assurée par le flash-back entre les photos en couleur de personnages prises en 2007 et celles, en noir et blanc, datant de 1984, sur les mêmes lieux du crime (Chérif, Yahia et Hocine, La Terre rouge, Cité Bassens, Marseille, 1984 et 2007).

À cette ellipse dont tous les ex-jeunes gens ne sortent pas indemnes (Cesar, 1984 et 2006), s’ajoute le hiatus spatial entre des Maliens d’Evry et leurs familles restées au pays.

Le travail de Patrick Zachmann invite à considérer la banlieue française sous un autre angle. Il photographie la ou les banlieues comme il a abordé le monde de la nuit pour un reportage sur les capitales européennes. Avec patience. Et avec passion.

Patrick Zachmann
Quartiers nord de Marseille. Chérif, Yahia et Hocine, “La terre rouge”. Cité Bassens, Marseille. Septembre 1984.
Quartiers nord de Marseille. Chérif, Yahia et Hocine, “La terre rouge”. Cité Bassens, Marseille. 23 ans après, juillet 2007.
Sangatte, Pas de Calais, 2001.
Fresnes, Val de Marne, 1997.
Cité des 4000 , La Courneuve, Seine-Saint-Denis, 1986.
Astan, Evry, 2003.