ART | CRITIQUE

Pas très catholique

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Thierry de Cordier semble avoir pris un malin plaisir à recycler, ré-agencer et pervertir, les (lourds) symboles, les (saintes) écritures, et les clous (rouillés) de la tradition catholique. Des œuvres entre terrifiante noirceur et insolente ironie.

« Un jour j’exposerai plein de tableaux noirs — comme un trou du cul — et cela notamment en réponse à vous, chers habitants de Puycelsi, à vous ainsi qu’à tous les catholiques mouillés, et leur sainte boutique. » (Dernier message adressé aux Puycelsiens, 1988).

Et ce jour vint, en la galerie Marian Goodman. Selon la légende (celle qui est inscrite au mur, en préambule de l’exposition), une sculpture de l’artiste, noire, humanoïde et vaguement cruciforme, fut si mal reçue dans ce village du Tarn, que des mains inconnues la balancèrent par-dessus les remparts de la cité médiévale.

Quinze ans plus tard, alignés comme autant de stations macabres, sculptures et tableaux, noirs, et plus ou moins cruciformes, se dressent dans la blancheur zénithale de la galerie. Le corps martyrisé en est définitivement absent, ou plutôt absenté, à jamais descendu de la Croix, envolé, évaporé, absorbé. Ne restent — provocation et sacrilège — qu’un phallus (sec) en érection, et une bouche-vulve béante. Ailleurs, sur un bénitier ventripotent, qui exhale la vinasse, une déclamation donne le ton : « Salut tout le monde, je suis le sac à vin ».

Thierry de Cordier semble avoir pris un malin plaisir à recycler, réagencer et pervertir, les (lourds) symboles, les (saintes) écritures, et les clous (rouillés) de la tradition catholique. Sur les surfaces noircies, tour à tour feutrées, brillantes, lisses, ou plissées, riches de multiples variations lumineuses, et sensées absorber les maux de l’humanité, s’inscrivent, discrets et grinçants, l’objet profane iconoclaste (de l’isolant électrique au T d’architecte), la petite phrase désabusée, ou le titre trivialement terre-à-terre. Les totems ainsi érigés ricanent en silence de leur ambivalence, entre terrifiante noirceur et insolente ironie.

Probablement perçue comme une offense, la sculpture saccagée à Puycelsi semble avoir ressuscité, et s’être démultipliée, pour une rédemption façon magie noire. Flotte, sur cette cérémonie, le parfum d’une nostalgie de la foi perdue, sous couvert d’hérésie subversive, somme toute bien policée.

Thierry De Cordier
— 2 Fontaines, 1985-1988/1988-2002. Diptyque : dessin.
— Œil pour œil, 2002.
— Péché sec, 1991. Dessin.
— H.H., 1993. Dessin.
— N.M.S.C. bis, Souvenir d’un séjour en haute montagne, 1999.
— U.M., 1997. Sculpture.
— Oiler, 2002. Sculpture.
— 1/2 A Crucifix (For an Architect), 1999. Sculpture.
— Font, 1996-2003. Sculpture : conteneur de vin. 40 x 86 x 60 cm.
— Fuente, 1977. Peinture sur carton.
— Ombra mai fù (pseudo-rideau), 1999. Tableau.
— Dame, 2002. Tableau.
— En una Noche Oscura…, 2002. Tableau.
— ’Jesu, no more’ (NN), 1997. Tableau.
— The Great Nada !, 2002. Tableau.
— RTTY RIT !, 1991. Tableau.
— Passevite, 1999. Tableau.
— Petit ‘rien’ de la croix (Peunoir), 2002. Tableau.
— Dernier message adressé au Puycelsiens, 1998.
— Portrait-vulve de ma mère (=), 1988-1998. Dessin à l’encre et crayon. 26 x 17 cm.
— Rien, rien, rien, rien, rien, 2003.
— I’m a Pear ! (P.), 1989-1991. Sculpture. 50 x 65 x 55 cm.

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