ART | EXPO

Pas encore

08 Sep - 13 Oct 2012
Vernissage le 08 Sep 2012

Les propositions réunies dans cette exposition ont en commun de prendre appui sur une base discursive ou narrative, des éléments concrets de langage (un propos scientifique, politique ou littéraire), tous prémices à l’élaboration d’œuvres dont la formalisation bascule dans le champ de l’abstrait, ouvrant au passage des boulevards à l’imaginaire.

Berdaguer & Péjus, Jorge Méndez Blake, Michael Wilkinson, Sergio Verastegui
Pas encore

«Pas encore»… ou comment résister à l’immédiateté de la lecture, à la fugacité de l’image facile, à l’entretien par la communication globale et accélérée d’une illusoire instantanéité de la compréhension.

Avec leurs étranges formes tombant du plafond, presque des gribouillis en suspension, Berdaguer & Péjus ont tenté l’aventure d’une retranscription visuelle et plastique des Paroles martiennes (2012) d’Hélène Smith, récits somnambuliques consignés en son temps par le psychologue Théodore Fournoy (1854-1920). Avec l’aide du Laboratoire Parole et Langage d’Aix-en-Provence (Cnrs Universités de Provence et de la Méditerranée), les artistes ont fait relire ces propos à une comédienne dont l’enregistrement par des capteurs a permis une traduction en des diagrammes en 3D, matérialisés ensuite grâce au procédé de stéréolithographie qui leur est familier. Ils donnent ainsi un aspect solide et visuellement perceptible à une «chorégraphie buccale» normalement insaisissable, pour ne pas dire invisible.

Jorge Méndez Blake trouve dans la littérature un outil lui permettant de développer un langage conceptuel adoptant des formes variées, qui dans ses récents travaux aboutissent à une forme de physicalité de l’écriture. Elaborée à partir de la première page du poème The Waste Land de T. S. Eliot, sa peinture murale (Untitled (T. S. Eliot «The Waste Land»), 2012)) reprend la silhouette du texte, tentant de réaliser une synthèse de la lecture et de l’écriture. Plus que sur une problématique mallarméenne de spatialisation de l’écrit, l’intérêt de l’artiste se porte sur la possibilité de matérialiser le vide, et une capacité à donner une nouvelle forme au langage en le traitant tel un objet, tout en lui ouvrant la possibilité de devenir un territoire autonome. De même que ses «facsimilés» de poèmes, patiemment dessinés à la mine, induisent de nouvelles relations au langage, où l’expérience littéraire n’est plus la seule voie d’accès à une écriture devenue frontalement présente. Dans son Monument à T. S. Eliot (2012), outre qu’il pointe une certaine fragilité de la monumentalité, Jorge Médez Blake propose une subtile lecture de l’ouvrage de l’écrivain américain, où est abordée la désolation d’une époque.

Si c’est dans l’histoire récente que Michael Wilkinson puise la source de son travail, c’est sur les événements politiques et sociaux, ayant eu des répercussions perceptibles bien au-delà de leur seul ancrage géographique, qu’il aime à se focaliser. Par le biais d’indices et de fragments, d’images devenues parfois brouillées ou de menus objets comme sortis de leur contexte, l’artiste en propose une autre lecture, moins linéaire que le récit écrit, mais se rapprochant volontiers de l’aspect instable et chaotique du réel d’alors. Avec Crackdown, l’accent est mis sur les événements de Mai 1968, à travers notamment des images d’un même moment à quelques secondes d’intervalle, mais capturées par trois sources distinctes. Si c’est bien une histoire en train de se réécrire que trahit la présence d’un tableau noir, il n’est toutefois nullement question de la réinterpréter ou d’en modifier substance et contenu, seulement de permettre à chacun de se la réapproprier, en laissant libre cour à des variations de lecture, moins contraintes et bordées.

Sergio Verastegui avance lui sur le terrain de la fiction, même si l’imaginaire qu’il donne à appréhender dans son installation Théorie des ensembles se laisse lire de manière très naturelle, dans un texte que l’artiste a fait paraître dans la revue belge ART. Il y conte son intérêt pour la redécouverte d’un artiste autant méconnu que fictif, J. D. Wide, et sa tentative de définition d’un «art extérieur»… qui n’a jamais existé! En liant cette publication avec une forme de matérialité abstraite, Sergio Verastegui, en plus d’aborder la problématique de l’existence même de l’œuvre d’art, se penche sur la possibilité de formalisation de la sculpture — pourtant objet concret — à travers une fiction, inspiré en cela par Jorge Luis Borges et son utilisation des pieds de page. Avec sa sculpture Espace physique, espace mental, par la simple combinaison de deux types d’espaces concrets (des éléments de mobilier) donnant naissance à un autre type d’espace, indéfinissable celui-là, l’artiste convie à un exil du regard et de l’imaginaire.

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