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Part II

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Mark Lewis confronte les enjeux de l’art vidéo et les techniques cinématographiques, se nourrit de matière et de références picturales et photographiques et produit ce qu’il nomme lui-même un «simulacre de cinéma», une œuvre qui n’utilise que les moyens du cinéma jamais ses fins.

Le second volet de l’exposition de Mark Lewis organisée à la Galerie Serge Le Borgne rend compte de ses talents de photographe et de vidéaste et déploie son esthétique impeccable et envoûtante.

Paysages délaissés, confrontations entre une nature vigoureuse et des structures humaines abandonnées à leur précarité, les photos de Mark Lewis constituent des territoires de tension, instaurent l’instant fragile qui précède l’événement, si petit soit-il, qui, comme le laissent suggérer les voitures qui surgissent en arrière-plan, vient combler l’espace d’un instant la vacuité du lieu.

Cette léthargie simulée se retrouve au cœur du travail vidéo de Mark Lewis qui évoque cette fois le parasitage du cadre défini de l’image par une réflexion précise sur le mouvement.

Tournés en 35 mm, ses films courts s’offrent un dialogue avec le cinéma, non pas pour y piocher ses possibilités d’histoire, mais pour révéler ses mécanismes et ses processus. Technique et contenu ne sont plus dissociés, transférant ainsi la matière cinématographique dans le champ artistique contemporain.

Rush Hour, Morning & Evening, Cheapside est filmé dans une rue de Londres à une heure de grande affluence. Cette scène du quotidien urbain, qui rappelle les photographies de Winogrand et de Friedlander, perturbe pourtant la perception du spectateur par le basculement de la caméra. Les ombres projetées deviennent l’endroit de la situation et les corps «réels» des passants sont réduits à des silhouettes. Aux mouvements du flux humain des grandes villes, Mark Lewis ajoute celui, virtuose, de la caméra: un effet vertigineux de contre-plongée dénature l’espace identifiable de la ville et brouille nos repères.

Gladswell’s Picture Window repose sur le même principe: Mark Lewis filme une vitrine qui contient des petits tableaux de skieur et de violoncelliste et dans laquelle se reflète l’agitation urbaine. Là encore le film n’est tout au plus que le reflet de la réalité, sa projection. Un dernier film décrit l’activité d’un bar. Si le sujet semble cette fois abordé frontalement, ce n’est qu’en partie seulement, car, à la manière d’Un bar aux Folies Bergères de Manet, la plus grande partie de la scène se donne à voir dans le reflet d’un miroir. Ce film est en réalité, comme le fait en photographie son compatriote Jeff Wall, une reconstitution, une mise en scène orchestrée par l’artiste. L’impression de faux qui se dégage de cette œuvre est renforcée par un mouvement infime de zoom qui vient saccader les images et automatiser les mouvements de la serveuse.

En montrant ostensiblement les procédés techniques qu’il met en place (l’emploi de l’ombre, du reflet ou de la mise en scène), Mark Lewis réussit à mettre à distance le principe de réalité des images, à mettre en avant leur nature artificielle. Il confronte ainsi les enjeux de l’art vidéo et les techniques cinématographiques, se nourrit de matière et de références picturales et photographiques et produit ce qu’il nomme lui-même un «simulacre de cinéma», une œuvre qui n’utilise que les moyens du cinéma jamais ses fins.

Mark Lewis
— Queensway: Pan + Zoom, 2005. Photographie. 101 x 122 cm
— 2nd, Beach, Pan, Swim, 2006. Photographie. 101 x 122 cm
— Isosceles, 2007. Photographie. 101 x 122 cm
— Rear projection : Molly Parker, 2006. Photographie. 101 x 122 cm
— Isosceles, 2007. Film 35 mm transféré sur DVD, 3,10 mn
— Rear projection : Molly Parker, 2006. Film 35 mm transféré sur DVD, 3,10 mn
— Spadina : Reverse Dolly, Zoom, Nude, 2006. Film 35 mm transféré sur DVD, 2,55 mn
— Rush Hour, Morning and Evening, Cheapeside, 2005. Film 35mm transféré en HD, 3 min 42 s
— Gladwell’s Picture Window, 2005. Film 16mm transféré en HD, 2 min 57 s
— Downtown Tilt, Zoom and Pan, 2005. Film 35mm transféré en HD, 4 min
— Brass Rail, 2003. Film 35 mm transféré en HD, 4 minutes

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