PHOTO | CRITIQUE

Paris Autumn

PStéphanie Katz
@12 Jan 2008

Pour lancer la saison 2006-2007, la galerie Zürcher propose de découvrir le travail, fondé sur l’esthétisme, d’une vidéaste indienne encore peu présentée en France malgré un parcours déjà reconnu dans son pays d’origine.

Pushpamala N se fonde sur les codes visuels complexes de l’Inde contemporaine pour revisiter par le filtre de l’esthétique les possibilités narratives de la vidéo. Répandu en Inde, tant dans les affiches acidulées que dans une impressionnante production cinématographique d’historiettes recolorisées, c’est tout l’univers Kitch et superficiel du décor de surface à l’indienne qui est ici retravaillé, dans un projet de restauration de la densité dramatique et de la puissance onirique.

Depuis le début de son travail, Pushpamala N dirige la prise de vue tout en se mettant elle-même en scène sous les traits d’une multitude de personnages archétypaux de la société indienne. Femmes politiques, stars de cinéma, intrigantes mondaines…sont ainsi autant de figures emblématiques de la vie moderne indienne que l’artiste s’approprie, afin de mieux en souligner les dynamiques secrètement politiques.

Dans une posture qui n’est pas sans évoquer, dans l’œil occidental, des similitudes avec les propositions de Sophie Calle ou de Cindy Sherman, Pushpamala N déploie un dispositif d’auto-fiction critique qui s’affirme dans un double mouvement paradoxal: appropriation des archétypes et mise à distance plastique.

Le film présenté par la galerie a été réalisé «à chaud» durant l’hiver 2005, à l’occasion d’un séjour parisien dans une rue du Vieux Marais, alors que l’artiste logeait dans un hôtel particulier ayant appartenu à Gabrielle d’Estrée. Le diaporama, monté comme un roman-photo cinématographique, qui naîtra de cette immersion parisienne tranche singulièrement sur la production vidéo qui a court dans nos galeries occidentales, tant se déploie ici sur un mode absolument décomplexé toutes les stratégies dramatiques d’un cinéma jouissant de sa magie visuelle.

Depuis le rythme enlevé du montage qui s’amuse des arrêts sur images, des flous et des répétitions, jusqu’aux ponctuations musicales expressives, en passant par un récit perlé d’énigmes que sert une narration à la première personne en voix-off, toutes les ficelles de l’écriture dramatique sont utilisées. Si bien que dans cette jouissance partagée d’un cinéma d’enquête à la Clouzot, ce qui surprend notre regard d’occidental blasé, c’est l’absence totale de dérision, de déconstruction narrative, ou d’une quelconque mise en évidence d’une posture de désillusion.

A l’inverse, avec beaucoup d’humour et d’exaltation jouissive, Pushpamala N semble jouer avec tous les ressorts d’une machine cinématographique qui ne l’a jamais fondamentalement fascinée. Et certainement, si l’expression d’une désillusion face aux mensonges de l’image n’est pas à l’ordre du jour ici, c’est parce qu’il n’y a jamais eu illusion.

L’Inde a ceci de particulier que, en découvrant les charmes du cinéma avec les productions hollywoodiennes, elle va davantage se passionner pour l’incroyable machine à codification des comportements que ce vaste corpus d’images véhicule, plutôt qu’à la restitution d’une pseudo-vérité de l’image qui, effectivement, n’a jamais été un enjeu dans la culture traditionnelle indienne. Il résulte de ce trait culturel spécifique une ré-appropriation esthétique toute de surface, qui exagère les codifications sociologiques et le jeu des normes, sans jamais s’inquiéter ni du propos, ni du vérisme plastique.

Dans ce contexte, Pushpamala N tente surtout de ré-insuffler du rêve, de l’imaginaire et de la poésie, dans un cinéma indien coincé dans le seul jeu démonstratif des codes de société. Il découle de cette option une proposition visuelle qui allège notre regard occidental désabusé et restaurant généreusement l’image dégradée que nous dressons de nous-même. Emportés dans une véritable jouissance narrative, nous nous autorisons à rire d’une composition limpide qui stratifie le réel et le rêve, le contemporain et l’historique, l’éphémère et l’immémorial.

Depuis le fantôme de Gabrielle d’Estrée qui surgit dans le quotidien de Pushpamala N, jusqu’à ses déambulations dans les rues nocturnes, les cafés, les Champs-Elysées et la Tour Eiffel, en passant par des bribes de spots d’informations concernant les violences dans les banlieues, c’est tout un panorama de clichés qui reconstruit notre banalité sur un mode exaltant. Tel un voyageur en pays étranger, on se surprend à renouer avec cette jouissance de la fiction qui tisse toujours les vagabondages en terre lointaine. Se voir soi-même comme l’autre nous voit…

English translation : Begüm Sekendiz Boré.

Pushpamala N
— Paris Autumn, 2006. Vidéo. 35mn.

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