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Parcours de danse 2008: inauguration

— Boris Charmatz, Méfions-nous de la nature sauvage, reprise de Quintette Cercle, 2006

En académique bleu turquoise et comme en ultime hommage à feu Maurice Béjart, cinq danseurs, dont Boris Charmatz, semblent rejouer avec emphase et distorsion un Sacre du printemps bucolique et déjanté. Les visages et les corps grimacent. L’intériorisation de la figure de l’idiot près de la cabane est comme poussée à son paroxysme. Des citations gestuelles du ballet moderne semblent ici réinterprétées de façon sommaire et dérisoire, avec le sarcasme d’une intériorité expressionniste extériorisée dans l’ici et le maintenant.

L’intention de ce spectacle sur fond de verdure est pourtant tout autre : elle provient de la pièce Héâtre-élévision , conçue en 2002, pour un unique spectateur allongé devant un téléviseur. Mais il est surtout tributaire d’une tranche de ce spectacle version live Quintette Cercle, datant de 2006.

La chorégraphie est basée sur un travail sonore complexe réalisé à partir de la musique de Galina Ustvolskaya, décédée en 2006 justement, et sur laquelle les danseurs chantent. Cette compositrice russe incarne aux yeux de Boris Charmatz et de sa compagnie « toute la modernité, toute la Russie, toute l’Histoire ». C’est ainsi que la voix et le corps se partagent l’espace.

On pense à un moment à une caricature de la vie de Rudolf Laban à Monte Verita, lorsqu’ils se tiennent main dans la main, en cercle, « à l’ancienne » dans une gestuelle toujours outrancière et naïve.« La danse n’a lieu qu’en échange de l’abandon du chant, de ce cercle, de cette musique, de ce lien commun. Elle nous prend dès que nous lâchons les mains, nous quitte aussi vite que nous rentrons dans la ligne. » Telle était l’intention de départ. Mais il en ressort tout autre chose comme une révision et un éclatement des codes de l’histoire de la danse moderne.
— Emmanuelle Huynh et Nicolas Floc’h, La Feuille, création de 2005

Le crépitement sonore du plastique vermillon mu par le vent et les corps des danseurs que l’on aurait préféré ne pas voir, donne une consistance temporelle au dispositif étal de l’herbe verte déjà très animée par des bâches monochromes rouges. Un petit sac en plastique bleu, rejoignant à grande vitesse les bâches, bouleverse ironiquement le dispositif, rejoué ici pour les Parcours de danse de l’été 2008, dans les douves de Chamarande.

Trois feuilles rouges rampent au sol, lentement, telles des soles au fond des mers. Une planéité s’anime, puis une recherche de la verticalité face au château rappelle l’iconographie populaire du fantôme. Un enfant, qui n’a pas vu — on ne sait pas comment il a fait ! — les corps des danseurs rendus si souvent visibles à cause du vent, demande à sa mère : « qu’est-ce qu’il y a dedans ? ». On est amusé par cette douce naïveté tant on est blasé de notre côté, espèrant en vain quelque chose de ces petits énervements perceptibles sous les feuilles. L’informe se déforme, est traversé par des accents, des légers hoquets, des micros convulsions.

Un ampli apparaît aussi par inadvertance. L’on sait désormais que l’on aura droit tôt ou tard à un petit morceau de musique. Surprise, ce sont les sons d’une cithare que l’on entend bientôt, signal sonore qui annonce sans doute la joute à venir, celle opposant les deux morceaux de plastique rouge. Le tout rappelle un combat de dragons, version nouvel an chinois, plus minimaliste. Une bâche est dévorée ou assimilée par l’autre. Du duel ou de la feuillophagie naît une unité, une nouvelle entité spatiale animée par deux corps. L’acte anthropophagique ou fusionnel terminé, les danseurs sortent de leurs bâches et saluent le public.