PHOTO | CRITIQUE

Panos Kokkinias

PAntoine Isenbrandt
@12 Jan 2008

Entre situations étranges et climats ambigus, Panos Kokkinias nous donne des morceaux d’histoires à la dérive à travers ses clichés photographiques de décors banaux ancrés dans le réel, de scènes teintées de voyeurisme captées dans des moments de tensions.

Ce sont huit «fenêtres sur l’histoire» que nous propose le photographe Panos Kokkinias, pour sa seconde exposition personnelle à la galerie Xippas, huit compositions fabriquées, voulues, ou peut-être volées — allez savoir? — tant certaines reflètent une immédiateté infalsifiable.

«Je suis un voleur qui donne» disait Henri Cartier-Bresson, ici ce sont les moyens de faire travailler notre imaginaire, que l’artiste nous donne: des décors banaux ancrés dans le réel, des scènes teintées de voyeurisme captées dans des moments de tensions, musculaires comme émotives, des personnages saisis dans la marche de leurs activités journalières et qui laissent le champ libre à de multiples possibilités d’interprétation.

Le fondement du travail du photographe repose ici sur la présentation d’images arrêtées à des moments privilégiés, à «l’instant fécond», où tout bascule: dans un couloir d’hôtel, une femme avance à pas feutrés et entrouvre une porte où est inscrit le mot «private»; dans un lobby désert, un homme se retourne en direction d’une chose que l’on ne voit pas; devant ses cages, un gardien de but se campe sur ses cuisses, comme pour un duel au pistolet dans l’ouest américain.
Fugaces, ces instants capitaux et constitutifs d’un comportement tout autant que des positions «de repos», plus banales et posées, nous sont données à voir. Ce qui nous passe d’ordinaire sous les yeux sans que nous puissions même le considérer, est ici figé par l’œil photographique et s’offre paradoxalement au regard pour une contemplation illimitée.

Panos Kokkinias produit un art du récit, ce style photographique proche de celui de ses «maîtres» Philippe-Lorca di Corcia et Gregory Crewdson a été qualifié par Charlotte Cotton de «photographie tableau» tant il est vrai que l’utilisation de certains procédés filmiques mettent en commun avec le cinéma un peu plus que le terme «mise en scène».
En effet le soin apporté aux cadrages qui servent d’écrin aux aléas existentiels des personnages, peuvent évoquer la perfection obsessionnelle d’un Stanley Kubrick qui a d’ailleurs débuté sa carrière de façon remarquable et remarquée en tant que photographe.
Le cliché Léonidas, aux rimes plastiques assez riches entre sol et plafond, présente une violente oblique qui déplace le point de fuite très à droite conférant à la photographie des pouvoirs d’interaction proche de ceux de l’anamorphose, pour peu que l’on prenne la peine de se décaler vers la gauche.

Les lumières artificielles omniprésentes pourraient quant à elles nous faire plonger dans les angoisses sophistiquées d’un Dario Dargento, alors que l’atmosphère troublante -elle- appelle presque une parenté avec l’univers de David Lynch.
Tous ces éléments donnent corps à un univers où la solitude des personnages nous enjoint presque à devenir les voix-off d’un espace mental entre imaginaire, réalité, paradoxe et rêverie.

Si ce sont biens des histoires au sens albertien du terme, dans un espace commensurable à l’homme, que l’artiste nous soumet, ses clichés n’en sont pas moins de fausses images du réel.
Dans Urania, image très métallique d’un hall de métro assez impersonnel, une femme au dessus d’une volée d’escaliers déserte, nettoie la rambarde vitrée où apparaît le reflet fantomatique des voyageurs. Persistance visuelle poétique d’un lieu qui comme les veines avec le sang, ne prend sens que lorsque ses usagers l’empruntent.

Panos Kokkinias joue avec les codes de la représentation et ses frontières. A la différence d’un Philippe Ramette (qui produit de vraies images de l’irréel), c’est la réalité chez lui qui fait rentrer dans l’irréel et non l’irréel qui entre dans la réalité.

Panos Kokkinias
— Aliki, 2007. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 177 cm.
— Goalkeeper, 2006. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 167 cm.
— Theoni, 2006. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 158 x 120 cm.
— Leonidas, 2007. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 164 cm.
— Karim, 2007. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 164 cm.
— Alexandros, 2007. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 157 cm.
— Urania, 2007. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 157 cm.
— Naomi, 2007. Digital Chromogenic Fujicolor Chrystal Archive print. 120 x 156 cm.

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