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Panoramica

Avec Panoramica de Jochen Gerner, Anne Barrault poursuit son investigation autour de ces auteurs qui croisent, avec pertinence, les univers de l’art contemporain et de la bande dessinée.

Habitué des planches illustrées, notamment à L’Association, l’éditeur de bandes dessinées le plus prolifique des quinze dernières années en France, Jochen Gerner n’est pas pour autant un novice de l’exposition. Anne Barrault l’a déjà exposé à plusieurs reprises et c’est à chaque fois pour lui l’occasion de prolonger ses recherches graphiques à l’oblique de ses albums. L’exercice colle même assez bien à sa manière d’entreprendre la narration, tout en resserrement méthodique et en connexion de signes diverses.

Dans Panoramica, Jochen Gerner s’empare d’un thème qui lui est cher, l’espace. Celui de la feuille blanche qu’il faut remplir au risque de la saturation et pour ne pas sombrer dans les méandres de la création.
L’espace c’est aussi les grands espaces, la tentation de l’oubli dans l’aventure paysagère: la carte géographique, la carte postale, la pochade peinte format «paysage». Panoramica est une forme de répertoire à la Prévert et une envie de poser le pied sur tous les archipels méconnus.
Accompagner une amie navigatrice qui accomplit la traversée de la zone Ouest du Grand Nord en réalisant régulièrement des cartes postales peintes assommées par d’impassibles aplats blancs et bleus polaires.
Entreprendre une relecture de Tintin, TNT en Amérique, en ne faisant figurer que les mots et les signes les plus à même pour décrire la violence dissimulée sous la ligne claire d’Hergé et la radieuse nation de la liberté.
Transformer les poussiéreuses cartes historiques et géographiques de notre enfance et soumettre leur observation à la malice de Jochen Gerner, entre amnésie et récit dégarni de la pompe didactique.

Et comme chacun sait que l’aventure nous attend au coin de la rue, c’est dans ses carnets de brouillon posés près du téléphone qu’il prolonge le voyage immobile. Chez Anne Barrault, tout un mur est même dédié à ces planches du quotidien, divagations illustrées pour conversation à rallonge. Des petites estocades surréalistes qui font cohabiter, dans un invraisemblable méli-mélo, la Papamobile, les roues d’une Simca avec une rangée foisonnante de bruyères. Et plus loin des visages de trois quart, des objets jetés en vrac avec des formules divinatoires comme celle-ci «Agrandissez votre fenêtre. Est-ce qu’une main apparaît?».

Occuper le temps, annexer des territoires que de multiples références ont pourtant largement balisés. Finalement, remplir le vide par le plein ou par encore plus de vide. Juste y introduire ou laisser affleurer à la surface du dessin des signes en frottement perpétuel avec des mots, comme un hommage subtile et minimaliste à la vocation première de la bande dessinée. C’est-à-dire au fond, raconter des histoires avec la densité des mots et des images les plus simples. En recouvrant de sa main des surfaces déjà imprimées, Jochen Gerner ne fait qu’en ouvrir le potentiel narratif. Il a en plus l’intelligence de s’arrêter au seuil de cette plate-forme à explorer.

D’ailleurs l’une des planches de l’exposition ne dit pas autre chose: «Qu’est-ce que le dessin?»  interroge une ombre dissimulée derrière un monticule rocheux. Au premier plan, une voix répond: «La perspective d’un désert».

Jochen Gerner
Branchages, 2003-2008. Techniques mixtes sur papier. 21 x 15 cm.
Marseille, panorama polaire, 2008. Acrylique sur la carte postale. 11 x 15 cm.
La Forêt vosgienne, 2008. Acrylique sur Image d’Épinal (papier Arches). 25 x 32 cm.
Home, 2008. Acrylique sur catalogue IKEA. 29 x 21 cm.
Le Combat de Navarin, 2008. Acrylique sur Image d’Épinal (papier Arches). 50 x 65 cm.
Dark Vador, 2006. crayon noir sur papier imprimé. Dyptique, 30,5 x 39,5 cm.