PHOTO | CRITIQUE

Out of Ordinary, 1970-1980

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Parallèlement à la rétrospective de Friedlander au Jeu de Paume, se tient à l’Hôtel Sully une importante exposition d’un autre photographe américain de la même génération. Tous deux ont opéré sur des territoires communs, la métropole, notamment New York, et les grands espaces américains. Mais c’en est une version (très) colorée que propose Joel Meyerowitz.

L’exposition couvre la période charnière des années soixante-dix, quand s’effectue le passage du noir et blanc à la couleur. Influencé, comme Friedlander, par la leçon de Robert Franck, Meyerowitz participe de cette mouvance de la Street Photography, initiée par Walker Evans, qui, muni de Leica, se coule dans les turpitudes urbaines pour en extraire des tranches de l’ordinaire. Un ordinaire fait de collisions et d’indifférences, de trépidation et de saturation visuelles. Meyerowitz, directeur artistique dans une agence de publicité, est très vite tenté par la couleur. Mais dans les années soixante, celle-ci est réservée aux usages triviaux de la photographie commerciale: au MoMA, c’est en noir et blanc que Friedlander, Winogrand, et Arbus exposent.

Une bourse du musée Guggenheim, l’invitant à travailler sur un sujet quelque peu dissonant— les loisirs des Américains, pendant la guerre du Vietnam—, va lui permettre de franchir définitivement le pas.

Parcs d’attractions, stations balnéaires, frénésies consuméristes, et autres frivolités imposent la couleur. Avec ses contraintes propres: la faible sensibilité des films de l’époque, et les caractéristiques du film inversible qui contraste, et sature les couleurs, en plongeant les ombres dans un noir profond. Sous l’emprise de l’esthétique dominante de l’instant décisif, il se passe toujours quelque chose dans les photographies de Meyerowitz. Un micro événement —une femme qui se gante de noir dans la foule, un homme surpris alors qu’il saisit une femme par le bras— , fait figure de clef de voûte de l’image, mais sans la geler comme chez Henri Cartier-Bresson.

A l’instar de ce face à face entre un noir et un blanc, sur un trottoir new-yorkais, dont on ne peut déterminer s’ils se jettent dans les bras l’un de l’autre, s’ils s’évitent, se séparent ou anticipent leur collision (New York, 1976), l’anecdote visuelle ou narrative demeure irrésolue. Le cadre est large, et fourmille d’informations. C’est souvent la couleur qui en structure, avec outrance, la composition: des rouges vifs qui conduisent ou bloquent le regard, des contrastes stridents, ou des monochromes glacés.

La saturation visuelle, que génère la proximité de Meyerowitz qui fait corps avec le flux urbain, provoque aussi des effets de collage. Piétons, automobiles, édifices de verre, et églises néogothiques sont assemblés sans épaisseur, juxtaposés et disjoints, comme dans un décor de carton-pâte (New York, 1975). Et comme Evans, Franck, Friedlander, Shore, et bien d’autres, Meyerowitz sillonne les Etats-Unis, capturant au vol —From the Car, comme le mentionnent les légendes—, les visions fugitives pré-formatées, que lui offrent les écrans vitrés de son automobile.

À la fin des années soixante-dix, Meyerowitz troque son Leica contre une chambre 8 x 10 inches. Une nouvelle relation aux autres et à l’espace s’instaure. La foule s’efface. Des passants posent, avec plus ou moins de candeur. Le regard et les couleurs s’adoucissent. Les portraits se multiplient. Des thématiques pop deviennent plus prégnantes —parkings californiens et piscines de Floride—, mais pas de conceptuel chez Meyerowitz, à la façon d’un Ruscha systématique et froid. «La photographie consiste à être présent, extrêmement présent», c’est de cette expérience sensible que rendent compte des images, qui, à la fin de la décennie, tendent à dissocier le portrait et le paysage, l’individu et la vacuité de vastes étendues aux infinies nuances. Comme si le photographe prenait acte, avec une certaine nostalgie, d’une césure achevée entre l’homme et son environnement.

Traducciòn española : Santiago Borja

Joel Meyerowitz
— New York City, 1978. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— New York City, 1975. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— From the Car, Florida, 1970. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— New York City, 1975. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— Truro, 1976, 1976. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— Red Interior, Cape Cod, 1976. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— St. Louis, 1977. Épreuve numérique contre-collée sur carton.
— A Day on the Beach,3 Part Panorama, Cape Cod, 1983. Épreuve numérique contre-collée sur carton.

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