PHOTO | CRITIQUE

Our Fellow Man

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@12 Juin 2009

Laurent Van der Stockt présente quelques dizaines de photographies choisies parmi des milliers destinées à la presse. Les clichés évoquent les guerres dites «non conventionnelles» d’Irak (2003-2005), de Tchétchénie (1995-1999), et de Bosnie (1993).

En descendant les escaliers qui mènent au sous-sol de la Maison européenne de la photographie, espace entièrement dédié à l’exposition Our Fellow Man, on découvre, dans un niveau intermédiaire, les premiers clichés, les premières victimes.
Trois petites photographies alignées l’une sous l’autre représentent trois vieilles voitures accidentées dont les vitres brisées laissent percevoir des cadavres de civils. A l’arrière plan de l’une d’entre elles, une écriture arabe, dans une autre, un tank et des marines traversant une rue déserte, nous sommes quelque part en Irak.

Aux cotés de ces scènes de guerre contemporaine se trouve la photographie d’une affiche sur laquelle est imprimé un message d’encouragement flanqué du drapeau américain. Le message prend la forme d’un poème à la gloire des soldats américains. Il indique qu’ils sont loin de chez eux dans un pays hostile, se battant pour la liberté, pour leurs pays, leurs semblables, prêts à sacrifier leurs vies. Autant de justifications de la présence américaine en Irak. L’affiche est recouverte de dédicaces: pour la plupart, des remerciements et des mots de reconnaissance.

Our Fellow Man témoigne de trois guerres non conventionnelles à travers lesquelles nous sommes confrontés littéralement avec «nos semblables», qu’ils soient combattants ou civils.
La première série est constituée d’une dizaine de photographies du conflit en Irak entre 2003 et 2005. Ces clichés nous sont familiers: des militaires américains s’affairant dans des paysages en ruines, des cadavres de civils irakiens jonchant le sol, de jeunes marines se recueillant devant une tombe, une population affolée transportant un blessé sur une embarcation de fortune, de jeunes soldats arborant fièrement un portrait de Saddam Hussein avec un trou ensanglanté au milieu du front, une femme avec ses enfants blottis contre elle encerclée par l’occupant, des irakiens de dos les mains liées ou la tête recouverte d’un sac poubelle. Ici encore, les légendes sont absentes, qu’ajouteraient-elles de plus ?

En exposant ces photographies destinées à la presse, Laurent Van der Stockt propose un nouveau regard sur celles-ci en leur donnant un sens hors de leur contexte, au-delà de leur fonction descriptive. Une distance nécessaire pour sortir de la surenchère des images et y voir plus claire.

Sur une des cimaises deux séries de six images de petits formats sont disposées sur deux rangées. Bien que dans cette exposition, les clichés soient systématiquement privés de légende, pour ces deux séries, deux inscriptions indiquent le lieu et la date des prises de vue. Faloudja, juillet 2003 pour la rangée du dessus Faloudja, novembre 2004 pour celle qui suit.
Les photographies sont prises à travers l’embrasure de la vitre d’une jeep. Nous sommes à hauteur des passants. La silhouette d’un soldat, fusil braqué vers l’extérieur, occupe le premier plan des photographies de juillet 2003 tandis que des portraits d’irakiens pris sur le vif constituent l’arrière plan cette série. Les passants, hommes, femmes et enfants, dévisagent des marines. La tension est palpable.
Celles de novembre 2004 ont été saisies de la même manière, dans la même rue, mais les choses ont changées. Une vitre blindée protège les passagers de la jeep et la silhouette du soldat prêt-à-tirer a disparu tout comme les habitants de la ville qui a été rasée. Seules les ruines sont visibles. Il n’y a donc plus de menaces.

Une autre salle, une autre guerre. La Tchétchénie entre 1995 et 1999. Le photographe présente les combattants Tchétchènes de dos marchant dans une forêt plongée dans la brume du petit matin. Ces hommes, quelques dizaines tout au plus, se dirigent vers Groznyï, dans l’objectif de repousser l’armée russe qui bombarde la capitale de la République Tchétchène depuis 1994.
Les photographies montrent une ville ravagée et des habitants qui résistent au froid, à la faim, à la douleur et à la peur dans un dénuement total. Un homme recueille de l’eau dans une flaque de boue, des femmes effrayées portent des provisions de pains, un combattant isolé réplique aux tirs de l’armée rouge, dans une pièce délabrée trois femmes et un enfant, chaudement habillés, s’éclairent à la bougie. Ces photographies témoignent de la solidarité d’un peuple uni face à l’occupant et de la solitude de chacun face à son destin.

Une dernière salle exiguë et sombre abrite des photographies en noir et blanc de petits formats. Elles relatent l’encerclement de Mostar en 1993 alors attaquée sur deux fronts, serbe d’un côté et croate de l’autre. La population bosniaque recluse dans une parcelle de quelques kilomètres carrés est abandonnée à son propre sort. Les façades sont criblées de balles. Les hommes se cachent, combattent, survivent au milieu des ruines. Dans les rues les cercueils s’empilent. Dans cette petite pièce sombre l’oppression de nos semblables enfermés dans leur ville se fait sentir. Les photographies de Laurent Van der Stockt témoignent du « monde comme il tourne» mal.

Our Fellow Man sont les paroles d’un reporter de guerre, d’un homme qui, blessé à plusieurs reprises, a non seulement vécu la guerre aux côtés des victimes. mais a également suivi les soldats dans leurs missions et dans leurs doutes. Laurent Van der Stockt est avant tout un homme qui essaie de comprendre ses semblables et le monde dans lequel il vit.

Laurent Van der Stockt
— Irak, 2003-2005.
— Tchétchénie, 1995-1999.
— Bosnie, 1993.

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