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Origine

Sidi Larbi Cherkaoui est invité pour la seconde fois par le théâtre de la Ville. Il présente Origine, pièce pour quatre danseurs et trois musiciens. L’importance du mélange des cultures pour le chorégraphe belge se déploie à travers les origines des interprètes : Japon, Etats-Unis, Islande et Afrique du Sud.

Sur le plateau encore vide, on découvre le tapis réservé aux musiciens et la marionnette de Filip Peeters. Une marionnette plus grande qu’un homme, entièrement grise, le visage légèrement tourné vers le centre de la scène, yeux baissés. Immobile, inutilisée, elle prend peu à peu le rôle de témoin et sa présence se fait grandissante. Le premier danseur, Kazutomi, entre sur scène pour un court solo dans lequel on reconnaît la danse de Sidi Larbi Cherkaoui : élastique, souple mais également convulsive, nouée, proche de la contorsion.

La scène qui sert d’ouverture à la pièce joue du mot « origine » qu’il faut prendre ici dans ses différents sens. Le danseur crée une balle imaginaire à partir de la matière invisible, il jongle avec elle, la façonne de ses doigts, la laisse grossir jusqu’à ce que nous soit offert le monde porté sur les épaules du danseur, Atlas créateur de son merveilleux fardeau. Mais l’homme peut également apparaître sous les traits d’un animal, un grand singe aux poils roux qu’un autre, armé d’un maillet et coiffé d’une simple passoire, peut venir assommer afin de se glisser dans sa peau et donner corps à un duo chimérique et ensorcelant. 

A partir d’un quatuor de danseurs exceptionnel, S.L. Cherkaoui tisse une succession de duos à la grâce stupéfiante et virtuose. Un des danseurs peut devenir un pantin, manipulable à souhait, transformable aussi bien en chaussures à talons hauts qu’en cabine de douche, dans une scène troublante, tendre et dure tout à la fois. Une scène peut être vue également comme une déclaration d’amour avec cette femme dont tous les gestes, même l’intimité de la toilette, sont épousés par un danseur. Elle fait de sa main un miroir, de ses bras une serviette de bain, de ses genoux un fauteuil, de son buste, un chemisier…

Tout au long de la pièce nous sommes invités à penser l’intimité, intimité partagée, intimité de chacun, la distance entre les êtres. Le décor reproduit une maison de quatre pièces s’allumant et s’éteignant au fil du temps. Quatre pièces pour quatre danseurs qui peuvent parfois se rejoindre un bref instant, un sommeil partagé. A la belle occupation de l’espace du plateau s’ajoute donc cette structure verticale qui supporte les danseurs, se fait théâtre d’ombres ainsi qu’écran géant sur lequel une multitude de pages Internet (on aperçoit L’Origine du monde de Courbet), puis des cartes vues du ciel donnent naissance à la terre, immense, dernière image d’Origine.

Mais c’est surtout sur l’énergie féminine que se construit l’origine. Les chants d’Hildegarde von Bingen, religieuse et prophétesse du Moyen Age, se mêlent aux chants traditionnels maronites et syriens réservés aux femmes et aux chants paléo-byzantins, composés par des femmes. Capables de se rendre insupportables au point de se voir enfermées dans une valise, capables de faire de l’autre un objet, la femme peut aussi guérir, délivrer, adoucir les douleurs innombrables de ce monde. Et lorsque la voix des danseurs se mêle à celles des chanteurs, les voix des hommes à celles des femmes, on atteint pour un instant l’unisson, l’accord originel.

Horaire : 20h30

— Mise en scène et chorégraphie : S.L. Cherkaoui
— Assistants à la chorégraphie : Nienke Reehorst, Satoshi Kudo, Claire Cunningham
— Musique : Hildegard von Bingen, Rabi’a van Basra
— Costumes : Isabelle Lhoas, Frederick Denis
— Création lumières : Enrico Bagnoli
— Création de la marionnette
 : Filip Peeters
— Images : Gilles Delmas et « One of many »
— Conseil dramaturgique : Guy Cools
— Interprètes : Kazutomi Kozuki, Navala Chaudhari, Valgerour Runarsdottir, Shawn Mothupi, L’ensemble Sarband : Fadia Tomb El-Hage (chant), Miriam Andersen (chant et harpe gothique), Vladimir Ivanoff (direction musicale, arrangements, percussion et luth)
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