DESIGN | CRITIQUE

Orgueil et Colère

PMarine Drouin
@16 Jan 2009

« Orgueil et Colère », ou la mise en objets de failles humaines érigées en grands maux. Les designers se jouent de nos gestes grandiloquents en créant des ustensiles dérisoires, les concentrés anodins des mouvements de vanité et de colère qui nous animent au quotidien. Les miroirs sont taquins, les couteaux volent et les vases se jettent au sol, mais dans les règles de l’art, s’il vous plaît !

Le propos est douteux : il entend incarner les affres de nos pêchés en des objets utilitaires de toute banalité. Nos humeurs sont comparables à des fluides, et ces designers voudraient les concrétiser. Certaines pièces accusent le résultat d’un coup de colère, d’autres en sont les garde-fous, ou détournent de la complaisance au pêché d’orgueil.
On en arrive à l’antinomie d’objets conçus pour être brisés, ayant prévu la possibilité d’une pulsion, mais aussi la répétition de cet acte inopiné ! Cette exposition tient en équilibre sur la corde des contradictions, entre la fragilité de nos constitutions et la solidité présumée d’un outil usuel, entre  la rationalisation de nos vies et les courtes folies qui nous manoeuvrent.

On commence un parcours en épingle, car le revers de l’orgueil est souvent la colère. Mais la scénographie ne réussit pas à façonner l’espace, et l’on trouve dommage d’en avoir saturé l’entrée par la série photographique Selfkiss de Thomas Libé et David Puel, somme toute illustrative (l’Indécent baiser de soi à soi).
Le trouble de la relation à sa propre image, naît davantage des miroirs déceptifs de Matali Crasset et d’Olivier Sidet. Spline prolonge son ovale d’un ornement dentelé qui morcelle le reflet de la femme-enfant en mal de féerie. Quant à Ghost, il joue sur la contrariété de ne pouvoir capter son reflet qui se trouble, distrayant de l’image de sa personne vers un ailleurs. Une alternative que n’implique pas Supercherie, relégué à l’aire colérique : ce miroir à effets inflige à l’usager la formation lumineuse d’un spot rougeoyant en plein milieu du visage.

Mises à part trois autres pièces amusantes, dont le miroir de Benedetto Bufalino, qui vous met à la couverture d’Intramuros, la boîte de confettis de 100 dollars de Fred and Friends, qui inspire un geste délirant de vanité, et la chaise Dali de Fabrice Koukoui, augmentée d’un dossier si généreux qu’elle prend des allures de trône, la première partie de l’exposition laisse un peu sur sa faim…

… Et ça tombe plutôt bien, puisque la suite est garnie d’objets de la table conçus pour parer à la violence, la contenir en puissance ou bien laisser libre cours à sa vengeance sur la vaisselle !
Mais avant, rendons à certains objets la qualité spatiale que la scénographie a omis d’allouer à l’ensemble. Oeuvre charnière, le miroir Moucharabieh de Jennifer Fréville, dont les pleins et les déliés laissent autant voir le champ que le contre-champ, destitue le reflet comme image statique : le corps n’apparaît que partiellement et l’on est confronté à la vue tout aussi gênée de ce qu’il y a derrière le miroir… face à nous. Une autre pièce interprète une vraie poétique de l’espace en proie à notre intimité parfois débordante. La paroi domestique de Valentina Pilia et Caroline Issard a gardé les traces d’impacts. Les cavités créées, dont l’envers poli a retrouvé la douceur, sont comme des niches où viennent se loger les imprévus d’un mode de vie standardisé.

La géographie de nos états d’âme vient même habiter les assiettes de Pierre Juvigny. Pré-cassées, elles tracent comme une carte du tendre à briser selon les pointillés… à vous rester en travers de la gorge, comme le vin servi dans l’un des 7 Deadly Glasses de Kacper Hamilton ! Le verre Colère est en forme de goutte dont la partie haute est sectionnée ; le verre Orgueil est si haut qu’il force le buveur à des gestes démesurément théâtraux.

Enfin, les pièces les plus drôles sont crues et tendres à la fois. Frank Tjepkema invente un vase que la couche de silicone permet de jeter à terre, chaque nouvelle craquelure ajoutant à la beauté de ses motifs. Et quand Yve Thelermont et David Hupton détournent trois couteaux de cuisine plantés au mur en des patères laquées rouge à la force tranquille, Florence Doléac propose des objets pour humeurs chagrines ou rageuses : distributeur de mouchoirs Lacrymothèque ou coussins faits de serpillières. Les uns concentrent la puissance de l’ire, quand les autres laissent aller aux larmes.

— Olivier Sidet, miroir Ghost, 2008.
— Kacper Hamilton, le verre Colère, 2008. Série de 7 Deadly Glasses.Verre.
— Yve Thelermont et David Hupton, Stuck on you, 2006. Accroches murales en forme de couteaux. Acier laqué. 15 cm de haut
— Piet Houtenbos, Hand Grenade Oil Lamp, 2001. Lampes à huile en fonte, dorées et argentées. 10 cm de haut
— Frank Tjepkema, Shock Proof et Do Break, 2006. Porcelaine et silicone. 30 cm de haut.

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