PHOTO | CRITIQUE

Openings

PFrançois Salmeron
@11 Avr 2012

Souvent nommé «photographe qui ne prend jamais de photos», Curtis Mann poursuit ses explorations des limites de l’art photographique. Ses œuvres se focalisent notamment sur la décoloration des tirages et sur le travail du papier, via les produits chimiques et les encres utilisés dans la production d’images.

Après s’être consacré à des séries de photographies prises par des anonymes en Israël ou à Beyrouth, et avoir détourné ces images représentant des lieux où il ne s’était jamais rendu, Curtis Mann semble aujourd’hui revenir vers une démarche bien plus «formaliste». En effet, ses œuvres s’attèlent plus que jamais à déconstruire les matériaux utilisés dans la photographie. Plutôt que de s’attarder sur les luttes politiques et leurs enjeux historiques, ses clichés interrogent avant tout les procédés créatifs et les artifices mis en jeu dans la production d’une image.

L’exposition «Openings» présente tout d’abord une grande mosaïque composée à partir de papiers multicolores (Destroyed Room, 2012, 243 x 610 cm) que l’artiste aura créée in situ. On voit clairement que son attention se concentre sur les techniques de décoloration, de coupe et de pliage du papier photo.
Cette œuvre présente ainsi l’essence même d’un travail visant à «déconstruire» le matériau propre à la photographie, en le vaporisant notamment d’eau de javel. Papiers arrachés, décollés, cornés ou pliés, et tâchés de javel, questionnent la nature physique de la photographie. C’est le matériau «brut», manipulé et détourné par des techniques bien particulières, qui devient ici œuvre à part entière.

La série After C.I. rend hommage à Gordon Matta-Clark (1943-1978), en reprenant des formes du projet Conical Intersect (1975) réalisé rue de Beaubourg. Conçues comme un éloge de l’esthétique de la «destruction» propre à l’artiste américain, les œuvres de cette série présentent des pochoirs de silhouettes humaines dans des monochromes blanc sur blanc. Surtout, elles explorent le contraste existant entre les qualités des espaces négatif et positif du papier photo.
Également pulvérisés à la javel, ces tirages décolorés dévoilent certaines formes parcellaires des travaux de Gordon Matta-Clark qui, au lieu de se trouver effacées, émergent depuis des failles surgissant d’un fond éblouissant.

L’hommage à l’artiste américain se poursuit dans la série de collages de photos sur petits formats, Paper Fragments, où des portraits de Gordon Matta-Clark dans son studio sont recouverts de fragments créés par Curtis Mann.
Un élément photographique abstrait est donc collé sur un autre cliché, comme un ornement qui deviendrait désormais central et pervertirait la photo initiale, qui apparaitrait dès lors comme «secondaire» et malléable. Le portrait semble ainsi détourné de son aspect conventionnel et s’ouvre à de nouvelles potentialités. Le modèle, quant à lui, masqué par une production originale de Curtis Mann, semble alors bel et bien nié.

Enfin, la série Paper Cuts présente des papiers noirs, taillés par une lame. Après avoir défait la matière par des procédés chimiques ou avec des décolorants, Curtis Mann attaque ici la surface même du papier qu’il creuse de sillons blancs, horizontaux et irréguliers, ou de demi-cercles.

Érosion, destruction, décoloration, effacement, collages ou pervertissement sont autant de procédés récurrents dans ces œuvres. Une manière de rendre la photographie impermanente et faillible, plus obtuse et moins évidente que les images conventionnelles envahissant notre quotidien, et qui sont habituellement prises pour telles, sans être interrogées.
Ces œuvres se déclinant sur le mode du froissement ou de l’éraflure, créent finalement des images uniques et non reproductibles, et garantissent à chaque pièce son unicité et son originalité, en exaltant ses qualités propres.

Å’uvres
— Curtis Mann, Paper fragment (et Fig 2.9), 2011. Pages de livre, verre acrylique, tirage chromogénique décoloré. 38 x 33,3 cm (encadré)
— Curtis Mann, Paper fragment (et Fig 2.10), 2011. Pages de livre, verre acrylique, tirage chromogénique décoloré. 38 x 33,3 cm (encadré)
— Curtis Mann, Paper Cuts, Horizontals (as straight and closed as possible), 2012. Tirage chromogénique sculpté. 88,9 x 114,3 cm (encadré)
— Curtis Mann, After CI (Fig 7), 2011. Tirage chromogénique blanchi. 125 x 100 cm
— Curtis Mann, Paper Cuts, Half hole (sad), 2011. Tirage chromogénique sculpté. 125 x 100 cm

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