ART | CRITIQUE

Only Sound Needs Echo And Dreads Its Lack

PTimothée Chaillou
@12 Jan 2008

L’artiste britannique Darren Almond nous immerge dans des ambiances mêlant la nostalgie, la douceur et l’angoisse. Cette première exposition française révèle l’univers d’un artiste qui, avec une économie d’effets, suscite chez le spectateur des sentiments venant réajuster son regard.

Une série de photographies représente des architectures brisées par le temps, le manque d’entretien, l’abandon — architectures d’un pont délabré qui fut construit le plus au nord de la Sibérie et du monde. Ces structures, par leur fonctionnalité, font signe vers les architectures industrielles. Ce qui les rapproche du travail sans concession des Becher, ou des expérimentations radicales des minimal artists. Une volonté d’épuration permet d’exprimer la richesse des formes simples.

On pense au travail de Carl Andre lorsqu’il interroge la notion de matériau en conférant à un morceau de bois non poncé une valeur de sculpture. Mais, chez Darren Almond, les structures sont pourries, écroulées, recouvertes par la neige. La rigidité, parfois qualifiée de froide, des sculptures minimales s’effrite pour s’évanouir sous la neige, élément symbolique qui en rappelle le caractère «glacé».

Un pont devenu monument — non officiel — dédié à la mémoire des travailleurs fait retour sur une réalité passée. Le fait que cette architecture devienne monument pose un «voile sur la réalité» (Jacques Lacan) lui conférant une part de nostalgie et de désir, à la manière de la symbolique contenue dans la présence de la neige.

Au fond de la galerie, sur deux grandes plaques en aluminium peint est reproduit un extrait d’un poème de Joseph Brodsky, qui donne son titre à l’exposition : «Only Sound Needs Echo And Dreads Its Lack» (Seul le son a besoin d’écho et redoute son manque). Darren Almond rend la parole à un poète de la «génération du silence», cette génération d’artistes interdits sous le régime communiste en Russie. Le langage de Brodsky y trouve son écho.

Enfermé dans une obscurité totale, on visionne une vidéo qui présente un homme traînant la caméra qui le filme: décor de terres arctiques enneigées, filmage sans contrôle et en infrarouge.
Ce dispositif et son mode de présentation font surgir certaines angoisses liées aux peurs primaires: l’inconnu, l’absence de repère, l’enfermement. L’inconnu réside dans cet homme dont on ne peut saisir le visage, qui se retourne de temps à autre pour regarder sa caméra, en sachant qu’il pose regard sur nous, visionneur. L’absence de repère touche à l’espace obscur de visionnage et au lieu de tournage: dans une sorte de glissement, l’esprit comme le corps ne peuvent s’accrocher à une quelconque matière (l’espace est vide et la neige concourt à l’étouffement du lieu).

Par un minimum d’effet, on accède à une visibilité élargie grâce à une caméra spéciale qui ne transmet pas une vision naturelle. Caméra «spéciale», au sens que le philosophe Slavoj Zizek donne à cet adjectif: «spéciale» serait la représentation dans le langage d’un «stratagème» permettant l’évitement de la rencontre avec le «réel derrière les apparences». Par exemple, dans la formule «fonds spéciaux», l’adjectif vient masquer le secret entourant ces fonds.
La réalité de l’homme caché par la nuit est occultée par l’imagerie infrarouge qui ainsi tient lieu de filtre. Aboutissant à un dépassement des certitudes…

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