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Olivier Mosset

Olivier Mosset présente dans trois espaces à Rennes une série de monochromes ainsi que deux sculptures. Son œuvre, trop souvent résumée aux années critiques BMPT, s’interroge sans interruption depuis quarante ans sur le devenir de la peinture faisant de l’artiste suisse un véritable «historien des formes».

Par Paul Bernard

Paul Bernard : Vous êtes identifié comme un peintre radical. On connaît beaucoup moins votre oeuvre sculpturale. A Rennes, vous en présentez deux. Pouvez vous nous parler de votre rapport à la sculpture?
Olivier Mosset: Disons que j’ai fait des pas de côté dans la troisième dimension, mais je crois quand même les avoir faits avec une réflexion de peintre. J’ai fait des trucs, des décorations artistiques, et à partir de ça, j’ai été amené à travailler sur une sculpture qui est la même que celle que je présente ici dans le petit jardin à coté du Musée des beaux-arts. Mon idée au départ était de la faire à l’intérieur du musée, mais comme c’est des trucs lourds, des modules en béton, ready-made, j’avais laissé tomber. Et puis Christophe Viart [commissaire de l’exposition] a persisté, ça a donc donné cette pièce dans le jardin.
Dans le même temps comme on avait décidé de ne pas la faire, j’avais prévu autre chose, une autre sculpture, ici en glace, que j’avais déjà faite plusieurs fois : en carton une première fois et en bois peint deux ou trois fois. Je l’avais déjà faite une fois en glace pour une exposition à Saas Fe dans les montagnes en Suisse, où il y avait un glacier. On a pris un bloc du glacier puis on l’a taillé. Je l’avais refaite à Bâle, où elle s’était écroulée assez vite. Je l’ai refaite encore une fois dans la cour de la galerie « Les filles du calvaire » pour une exposition qui s’appelait Minimal Pop, en 2006. Là, comme c’était l’hiver, elle a tenu tout le temps de l’exposition et même au delà. Ce qui est drôle, c’est qu’elle se transforme. C’est toujours la même sculpture, mais enfin, elle fond. Ici, je trouvais intéressant de la faire à l’intérieur du musée, entourée de ces sculptures du dix-neuvième.

Le module de base, le « toblerone », est un bloc anti-char…
Le module de base, la première fois que je l’ai présenté, c’était à Sion dans un endroit qui s’appelait l’Arsenal. On en avait mis une quarantaine, c’était une vraie installation. En Suisse, on trouve ces barrages anti-chars un peu partout dans la campagne, encore maintenant. J’en ai d’ailleurs acheté à l’armée. C’est quelque chose entre le land art et la sculpture minimale dans le genre de ce qu’a pu faire Tony Smith. C’est ça qui m’intéresse: un regard un peu formel sur des formes qu’on ne comprend pas très bien, à moins d’être un spécialiste de barrages anti-chars. D’ailleurs, on ne comprend pas très bien pourquoi ils sont placés là où ils le sont. Quand j’ai pensé à en acheter, j’avais demandé une carte de leur emplacement à l’armée. Elle m’a été refusée…
Voilà, je ne sais plus très bien pourquoi, mais je sais que cette forme m’a intéressé, avec cette histoire de land art déjà tout fait. Le land art joue en général avec le paysage, que ce soit Michael Heizer qui occupe une tranchée ou des gens comme Nancy Holt. Ici, c’est une construction qui, au contraire, va à l’encontre.

Ca reste chargé de significations quand même
Si les gens le savent, oui peut-être, mais enfin c’est anti-char, disons que ça protège le musée.

Vous exposez ici à Rennes dans les mêmes endroits que John Armleder, que vous connaissez bien, il y a un peu moins d’un an. Je vous avais vu lors du vernissage. Quand on regarde votre stratégie d’exposition on a presque l’impression que vous le prenez à contre pied…
Ce sont les mêmes lieux, mais c’est pas tout à fait pareil. D’abord parce que John est plus post-moderne que moi. Il a un champ dans lequel il peut travailler qui est beaucoup plus vaste. Dans l’expo de John il y avait un côté installation, moi c’est moins ça, bien que je pense qu’un accrochage soit toujours une installation.

Mais contrairement à lui vous n’avez pas cherché à agir directement sur le lieu. Alors que vous l’aviez déjà fait dans le passé.
Pas souvent, mais effectivement je l’ai fait. Une fois j’ai peint un mur en jaune, je ne sais pas si les gens étaient tellement contents. Je suis intervenu plusieurs fois sur le lieu, notamment une fois au Musée Migros à Zurich. Bon, je crois que l’on ne peut pas échapper au rapport de ce qu’on met dans un espace avec l’espace qui le contient, mais il y a des gens qui se concentrent beaucoup plus là dessus. Pour ma part, je travaille dans mon atelier en Arizona et après je déplace les peintures. L’espace m’intéresse aussi, mais contrairement à Buren par exemple, ça n’est pas ce qui détermine mon produit. Le produit a pour moi une autonomie, une autonomie relative parce que toujours dépendante d’autre chose, mais quand même. Quelque part, je fais de la peinture de manière traditionnelle, je n’ajoute pas d’animaux empaillés [allusion à l’utilisation qu’en a fait John Armleder pour l’exposition « Encore » à Rennes en 2006]

Pour revenir sur vos peintures, vous évacuez toute allusion mystique dans vos monochromes. En pleine année Yves Klein, je trouve que ça prend un certain sens.
Oui, ce côté là ne m’intéresse pas, c’est un travail matériel, voire matérialiste. On peut retourner l’idée du sublime pour tomber dans quelque chose d’un peu plus concret. Stella est déjà celui qui avait ce discours. C’est de mon temps, mais c’est compliqué parce que, si c’est vrai que chez Mondrian par exemple, il y avait la théosophie, chez Yves Klein, l’espace, etc., il y avait également un discours un peu plus concret. Mondrian use parfois de formules qui le font se rapprocher de quelqu’un comme Van Doesburg et Yves Klein, c’est quand même le Nouveau Réalisme. Quand je vois un monochrome bleu, je vois un monochrome bleu: je regarde comment c’est fait, si c’est fait au rouleau, etc.… J’ai le sentiment que les discours qui sont extérieurs sont souvent là pour donner de la valeur à un truc qui au fond ne vaut rien. En même temps, ça ne vaut pas rien. Je me rappelle avoir une fois passé une douane avec des toiles en disant que cela ne valait rien. Le douanier m’a répondu « non, tout vaut quelque chose » et c’est vrai. Dans les années BMPT, il y avait un discours critique sur le système de l’art, son fonctionnement et le produit lui-même. En même temps, c’est ce qui m’intéresse: j’aime la peinture, je suis ouvert à ce que mes contemporains font. Et c’est dans ce dialogue qu’on fonctionne. Aujourd’hui quand je dis que je rate mes toiles, en fait ça ne veut rien dire parce que dans le champ de l’art, et c’est ça qui est formidable, il y a un espèce de terrain de liberté qui fait que quoi qu’on fasse, si les gens sont prêt à le montrer, ça existe. Après les travaux ont leur propre vie, leur propre discours.

Est ce qu’on pourrait dire que vous pratiquez un art subversif?
Bon, il y a un art académique, un art pompier et quelque chose qui l’est moins. Mais au fond, faire de l’art, ce n’est déjà pas un truc tout à fait normal. Si c’est un lieu de réflexion sur le monde, ma manière de traiter ce regard, c’est de me concentrer sur une pratique concrète, et puis j’ai des problèmes techniques. Voilà, je ne sais pas si je suis bien clair…

Si, si…
Je pense que tout est politique, ou du moins idéologique: les chaussures que l’on porte, notre manière de s’habiller, la voiture que l’on conduit… Et l’art l’est tout autant, peut-être même un peu plus. Je suis en même temps conscient que ça l’est par défaut. Il y a des actions qui sont réellement politiques, des meetings à la porte de Versailles ou des promenades en Chine. Cela je le sais. Si on veut faire de la politique, et bien on a qu’à faire de la politique. Il y a aussi une relativité de l’art qui est un lieu privilégié qui n’a pas d’impact réel. On s’adresse à une sorte de milieu instruit, non pas une élite parce que tout le monde peut s’y intéresser, mais enfin tout le monde ne s’y intéresse pas… Cependant je crois qu’avoir une réflexion sociale permet de faire un travail disons plus juste, meilleur. Au fond ma critique elle n’est pas tant sur l’art et les autres artistes, mais plutôt sur ce que je vois à la télévision, les variétés, le cinéma commercial, tous ces trucs qui ont quand même beaucoup plus d’impact que la peinture abstraite.

Au palais de Tokyo, vous intervenez en rendant hommage à Ellsworth Kelly. Cette pratique de l’hommage, on la retrouve souvent dans votre oeuvre. Je pense notamment à la très belle pièce que vous avez installée à Vassivière en hommage à Paul Cézanne.
Oui c’est vrai. Il y a une histoire qui existe. Au palais de Tokyo, j’ai eu la chance que l’on m’ait proposé ces fenêtres. Je savais que cette phrase de Kelly existait. France Culture, le soir du vernissage était venu me demander si je trouvais les fenêtres plus intéressantes que ce qui était exposé, j’ai répondu que ça n’était pas plus intéressant, mais que c’était la même chose. On peut regarder les fenêtres, on peut regarder ce qu’il y a dans le musée. Je ne dis pas que c’est mieux, mais que les deux sont possibles.
Cézanne? Oui, j’aime beaucoup Cézanne. Je ne vais pas faire ici un hommage à Cézanne, je pense qu’il n’a pas besoin de moi.

Au fond, même si l’on vous présente comme un artiste radical, il n’y a pas de table rase du passé, bien au contraire.
Au départ effectivement, BMPT était un discours très critique sur tout ce qui s’était fait jusqu’à maintenant. Aujourd’hui ce que je fais c’est peut-être un peu à côté de tout un système, en même temps je suis dans le système. Si au départ on s’intéresse à ce genre de problèmes et à ces pratiques, c’est bien parce qu’on s’intéresse à ce qui a été fait. C’est drôle parce qu’en ce moment à Beaubourg, il y a l’exposition Yves Klein et l’exposition Rauschenberg et quand j’étais plus jeune, ce qui m’a plus ou moins déterminé à « faire artiste », c’était une exposition de Rauschenberg à Berne, à la Kunsthalle, dans laquelle j’ai vu cette chèvre avec un peu de peinture sur le nez. Quand on voit ça, c’est quand même assez formidable, on se dit qu’on peut tout faire! Après dans ma pratique, c’est peut-être plutôt Jasper Johns qui m’a intéressé. J’ai fait un peu les choses à l’envers, j’ai d’abord vu le Pop, puis la peinture américaine des années cinquante, les hollandais et le suprématisme. Ensuite, avec les discussions qu’on a eues avec Toroni, Parmentier et Buren, il y a eu une espèce de rupture et là c’était un peu radical, c’était les années soixante aussi, mais c’était quand même avant tout de la peinture. En fin de compte on participe à toute cette affaire.

Olivier Mosset
Galerie Art et Essai, Université Rennes 2
Ecole des beaux-arts de Rennes
Musée des beaux-arts de Rennes
Jusqu’au 23 février 2007
Commissariat général: Christophe Viart

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