ART | INTERVIEW

Olivier Kaeppelin

La Délégation aux Arts Plastiques est une énorme structure aux missions diverses au sein du Ministère de la Culture. Son fonctionnement qui paraît assez complexe vu de l’extérieur s’éclaircit à travers la parole de son représentant officiel : Olivier Kaeppelin.

Par Samantha Longhi

Olivier Kaeppelin est Délégué aux Arts plastiques depuis octobre 2004. Ancien président de Radio France, homme d’assurance, empreint d’une grande culture artistique, il nous raconte la DAP à la veille de la Noël 2005.

Samantha Longhi : quelles sont les grandes missions de la Délégation aux Arts plastiques?
Olivier Kaeppelin : les missions de la DAP sont très diverses. Elles ont comme philosophie, axes de réflexion et de travail, l’art vivant, et plus précisément la création et la transmission autour de la création. Les missions de la DAP regroupent donc la diffusion, la transformation de la cité et de la société à travers des propositions artistiques, la constitution d’un patrimoine par nos actions ou celles de nos partenaires, et enfin l’aide et le soutien à la création.

Une mission de diffusion
Notre première mission concerne la diffusion. Nous travaillons dans le cadre de partenariats dans les Régions; les centres d’art et les Frac pour une part, et les établissements publics, d’autre part, qui sont sous notre tutelle, c’est-à-dire aussi bien le Fnac que le Jeu de Paume, ou encore des associations telles que le Palais de Tokyo. Il s’agit donc d’un réseau ayant des missions et des statuts diversifiés. Mais diffuser de l’art dans les lieux d’art, c’est-à-dire essayer de mieux faire connaître la création des artistes de notre époque, n’est sans doute pas suffisant. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui en termes de ville, de mégapole et de transformation permanente.
Donc cette diffusion passe aussi par des outils culturels d’aménagement du territoire pour faire comprendre, connaître, aimer la création de notre époque, et pour que les gens puissent se l’approprier.

La commande publique
La commande publique représente notre deuxième mission. Elle participe à la transformation d’un quartier et pour beaucoup à l’avènement de nouveaux moyens de transports.
Toutes ces commandes sont hors des milieux de l’art, sur le chemin du promeneur, du citadin — elles sont en majorité urbaines, mais elles peuvent aussi être en zone rurale. Je pense qu’il est très important que l’art existe dans la construction de la ville et des espaces publics. Mais cela peut aussi être les espaces publics de la radio ou du net, c’est-à-dire des endroits où l’art a une présence, une efficacité, une influence, une manière de faire comprendre le réel. Le principal aspect de la commande publique est de construire la ville avec pour une part une réflexion sur les arts plastiques.
La commande publique est également un soutien à la création. Il consiste en une tentative de mettre en rapport le créateur et son œuvre à travers un processus plus contraint, l’architecture, l’urbanisme, les données topographiques, etc., auquel l’artiste répond.
C’est aussi une manière de soutenir des types de métiers qui ne sont pas toujours des métiers de création. En ce moment, par exemple, nous travaillons sur une commande publique avec des typographes, des imprimeurs et des écrivains.

Le Fonds national d’art contemporain (Fnac)
Une autre des tâches de la DAP est d’aider à la construction d’un patrimoine vivant qui reconnaisse dès aujourd’hui la création de notre époque et puisse la diffuser.
Le Cnap (Centre national des arts plastiques) est un établissement public sous notre tutelle dans lequel il y a notamment le Fnac (Fonds national d’art contemporain). Il s’agit avant tout de montrer comment la création d’aujourd’hui existe, comment elle peut transformer des espaces, des lieux, et comment la pensée artistique peut faire partie de la société globale.
Nous voudrions que l’on comprenne bien que c’est un patrimoine, et le montrer dans une très grande ouverture d’esprit. Le Fnac a pour mission de faire non pas une collection mais un fonds, c’est-à-dire essayer de comprendre où se situe le meilleur de la création de son époque, quitte à se tromper, quel que soit le genre ou le mode dominant.

L’aide à la création
La dernière mission de la DAP, aussi très importante, passe par tout un système de bourses, soit pour des travaux que les artistes veulent mener en France ou à l’étranger, soit pour des travaux que les critiques veulent mener de même en France ou à l’étranger. Cela peut concerner l’aide à l’écriture, à l’image en mouvement, par la Commission Images et Mouvement à la DAP, par le Dicream qui est une institution faite de plusieurs préoccupations soit envers le cinéma, soit envers les arts plastiques, soit envers le théâtre, etc.
Les missions de la DAP regroupent donc la diffusion, la transformation de la cité et de la société à travers des propositions artistiques, la constitution d’un patrimoine par nos actions ou celles de nos partenaires, et enfin l’aide et le soutien à la création.

L’enseignement
A côté de tous ces volets existe la transmission du savoir et de la connaissance. Ces manières d’interroger le réel, d’y répondre et de proposer des formes sont quelque chose qui ne s’invente pas.
Il existe 57 écoles d’art dont 10 nationales qui sont directement sous notre responsabilité. Les 47 restantes sont essentiellement sous la responsabilité budgétaire des villes et parfois des régions avec une aide au niveau de 15% de l’État, avec une tutelle sur le cursus qui permet de délivrer des diplômes nationaux.
C’est une chose essentielle pour moi. Bien sûr, il existe des artistes devenus artistes en feuilletant des images ou en décidant de le devenir par conviction ou nécessité mais cela reste une pensée d’exception.
Il y a donc cette mission d’enseignement qui forme des créateurs, à hauteur de 10%, mais aussi des métiers para-artistiques tels que responsables de communication, designers-créateurs, critiques, etc., qui ne sont pas des métiers de création en tant que tels mais que cette formation a permis de voir apparaître. Je crois que l’enseignement artistique, eu égard aux problèmes toujours non réglés de la présence définitive dans les cursus du secondaire, de l’art et de l’histoire de l’art, est quelque chose de très important.

Une implication esthétique?
Nous avons aussi des missions qui englobent une attention transversale, une connaissance et une vraie mise en avant de la création qui se fait en France, à savoir la création par des artistes d’origines diverses et résidant en France. Il s’agit par exemple de savoir faire venir en France les artistes qui auraient le désir d’y travailler ou les artistes qui souhaitent enseigner en France tels que Richard Deacon ou Yann Pei Ming.
Cela concerne également les artistes à qui on passe une commande publique. En effet, 60% de ces artistes sont étrangers. Le Fnac est aussi un des rares fonds nationaux dont la majorité du budget est consacré à des artistes étrangers. C’est quelque chose qui me préoccupe personnellement; je suis né au Brésil, je suis venu en France à l’adolescence, j’ai eu le passeport brésilien pendant très longtemps, je suis très cosmopolite, la plupart de mes amis sont étrangers, mon meilleur ami est notamment allemand, etc.
Il n’y a donc aucun chauvinisme dans ce que je dis, mais il est vrai que je m’oppose à une manière de concevoir le rapport à l’œuvre d’art qui serait un casting international, c’est-à-dire faire les biennales, les foires, ramener un artiste, le montrer durant deux mois et en faire une actualité. Il faut se fonder sur une très forte connaissance de la scène internationale. Aujourd’hui, la vraie grande ambition est de faire connaître des œuvres que l’on estime fortes et intéressantes. C’est aussi une des missions de la DAP, autant qu’elle le peut, de montrer une vraie implication esthétique plutôt qu’une simple fonction informative.
Dans ces missions, il y a bien sûr des priorités comme celle que je viens d’énoncer ainsi que la commande publique et enfin l’éducation artistique qui nous tiennent à cœur.

Quels sont vos moyens financiers? Combien de personnes travaillent à la DAP?
Aujourd’hui, nous avons une nouvelle manière de présenter le budget à travers trois programme : le premier consacré au patrimoine, le deuxième à la création, le troisième à la transmission du savoir.
On peut toutefois déclarer que nous sommes aux alentours de 115 millions d’euros avec une progression sur les crédits centraux pour ce qui est de la création de 10,3% et pour la transmission du savoir de 16,8 %. Les crédits déconcentrés sont aussi reconduits.
La DAP regroupe 93 personnes et on peut ajouter à cela tous les services nationaux — les manufactures, la création en matière de mobilier, textile, céramique qui se tourne aujourd’hui à 80 % vers l’art contemporain — ce qui fait un total de 1060 personnes environ.

La commande publique. Vous avez décidé de mener une action de trois ans avec les centres d’art en faveur de créations pérennes ou éphémères. Quels sont les premières réalisations, les perspectives, les modes de financement et les sommes concernées?
L’idée est d’accompagner les centres d’art en leur permettant de réaliser un certain nombre de projets collectifs.
En premier lieu, un ouvrage sur les centres d’art sera édité pour un budget de la DAP à hauteur de 50 000 euros. Nous sommes aussi en train d’effectuer un travail de commandes de films: Les Centres d’art nous offre une minute d’art, que nous finançons à hauteur de 200 000 euros. Les mêmes sommes budgétaires seront bien sûr apportées par ces structures pour le financement global.
Et à Grenoble, les 20 et 21 janvier 2006, se tiennent les Rencontres des Centres d’art pour la réouverture du Magasin, un des centres d’art les plus importants de France. A l’occasion de sa réouverture, nous inaugurerons la commande publique de la façade du Magasin et une exposition Buren.
On commencera également à se réunir à Villeurbanne à l’Institut d’Art contemporain où sera rendue la première phase d’une étude sur les centres d’art. Il est par ailleurs apparu dans nos rapports avec les Centres d’art qu’ils avaient des demandes de commandes publiques assez liées à la question des accueils, signalétiques, donc en direction des graphistes et designers.

L’éducation artistique. Quelles actions menez-vous afin que soit inscrit au livret de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le Dnsep (Diplôme national supérieur d’expression plastique)?
En ce qui concerne le Dnsep, un groupe de travail s’est formé avec des élus, des directeurs d’école, des enseignants, l’Andea, la Cnea et le personnel qualifié de la DAP.
Nous travaillons de manière organique afin de faire reconnaître le master qui remplacerait le Dnsep, diplôme nécessaire pour que chaque étudiant qui le possède puisse circuler en Europe avec la même réalité d’équivalence. Notre enseignement est homologué comme enseignement supérieur depuis longtemps puisque les titulaires du Dnsep peuvent présenter l’agrégation et le Capes. Il y a toute une série d’équivalences qui existent déjà avec un certain nombre d’universités.
L’idée est de faire reconnaître ce que sont les enseignements artistiques et la recherche en art avec certaines universités. Mais surtout, ces 57 écoles représentent un formidable réseau qui s’est construit au fil des siècles et qui a fortement évolué. Petit à petit, l’ambition a été de former de grands créateurs. Il y a déjà toute une série de conventions et surtout d’opérations avec des institutions supérieures du même type en France et à l’étranger qui ont intégré cette qualité-là.
Aujourd’hui, il s’agit de travailler en partenariat avec l’Éducation nationale sur ce que pourrait être cette formation en arts plastiques qui mènerait à ce master universitaire. C’est pour l’instant sur ce schéma que nous travaillons.
Il faut réfléchir au + 8 de la réforme LMD, c’est-à-dire le doctorat, car cela concernerait seulement quelques universités, là où il y a un véritable projet de recherche existant.
Il y a déjà un certain nombre de relations entre des universités et écoles d’art, à Nancy par exemple. Et il y a aussi des recherches propres à certaines écoles comme ce que fait Tony Brown avec le projet La Scène.

Qu’en est-il de l’enseignement de l’art dans les écoles? Budgets, moyens, délais? Vous avez parlé de conventions avec certaines universités.
Le dossier de l’«art à l’école», plus précisément dans le secondaire, dépend pour une part de la DAP. Les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale travaillent depuis plusieurs années à faire une offre qui prend selon les différentes conceptions différents modules.
Après une période de bilan, nous avons relancé le travail il y a trois mois avec l’installation du Haut Comité concernant l’Éducation artistique. Toute une série de crédits ont été remis sur pieds concernant les temps artistiques. La convention signée entre Gilles de Robien et Renaud Donnedieu de Vabres, dont les prémices sont apparus avec la Loi Léotard puis avec la décision de Tasca et Lang, comporte des propositions concrètes, mais aussi une volonté de travailler sur l’imaginaire, associer à chaque collège une sorte de «référent artistique» tel qu’un grand homme de théâtre, d’art plastique ou, plus modestement, un artiste vivant dans la zone géographique, mais cela passe aussi par les visites et voyages habituels. Cela devrait faire entrevoir un accord entre les deux ministères: l’affirmation que l’art fait partie du socle des connaissances, à côté des mathématiques notamment.

On peut espérer que cela puisse se mettre en place à la rentrée scolaire 2006?
Je me garde de le dire, car cela fait quinze ans — j’ai personnellement participé à la loi Léotard — qu’on essaie que ce soit intégré au programme. Non, honnêtement, je ne pense pas que cela puisse être possible, à moins qu’il y ait une véritable accélération des choses. Il est néanmoins important, surtout au regard de certaines situations récentes de crise, que la culture visuelle, qui vient compléter la culture du langage, soit une partie de la formation de nos enfants.

Soutien à la creation : qu’en est-il de votre projet d’une grande exposition périodique de la création française?
Dans le cadre d’une commande pour les mois de mai et de juin 2006, nous avons créé un comité de pilotage composé de personnes qui ont toutes mené une action afin de défendre et montrer l’art en France. Nous avons un projet en cours de validation mais l’idée est de créer un premier rendez-vous cette année, puis tous les trois ans.
Pour ce qui est de notre premier rendez-vous, nous allons essayer de demander à un certain nombre de personnes, à travers ce qu’on pourrait appeler des «cartes blanches», qui ont joué un rôle quant à cette création en France, de faire des propositions dans des espaces que nous sommes en train d’imaginer.
Cette grande manifestation ouvrira le 9 mai à Paris au Grand Palais. Elle répond à une nécessité d’informer où en est la création. Ce problème est central. Tous les artistes ont fait part de leur colère et inquiétude sur le fait qu’on n’arrive pas véritablement à montrer cette création.
J’en ai parlé à Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans du Palais de Tokyo qui, eux, se dirigent vers la jeune création émergente durant le premier trimestre 2006. Au Grand Palais, nous présenterons la création de différentes générations à travers les points de force qui apparaissent chez ces personnes engagées depuis une quinzaine d’années dans l’art en France.
Durant les trois années à venir, nous allons essayer de réfléchir et observer comment on peut comprendre la construction d’une telle manifestation à partir de là. A partir de là était par ailleurs le titre d’une exposition de Gaspard Koenig présentant les artistes vivant en Allemagne et qui contenait déjà cette idée.

Que pouvez-vous dire de concret sur l’avenir du Palais de Tokyo maintenant que Marc-Olivier Wahler est sur le point de rentrer dans ses nouvelles fonctions?
Marc-Olivier Wahler a été nommé à la tête du Site de création contemporaine, dirigé par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. Le Site est maintenu et se développera autour de la jeune création émergente. Mais reste à côté toute une série d’espaces qui seront consacrés au cinéma, aux expositions, puis à d’autres choses comme des présentations, des lieux de rencontres. L’espace du site totalise les 6500 m², pour un peu plus de 5000 m² d’espace utile.
Un projet concernant les design va voir le jour grâce au Via, qui viendrait s’y installer. Ce dernier veut rationaliser les espaces qui lui seront attribués en y mettant à la fois ses salles d’exposition, ses bureaux, ses réserves et en créant par ailleurs une salle d’événementiel. Il y a également d’autres projets liés au design qui s’y rajoutent: des lieux qui montreraient l’innovation de la création de tel ou tel designer. Nous démarrons cette expérience avec le designer Colani.
Des fonds privés viennent financer ces différents projets, et pour le Via il s’agit de la taxe parafiscale.
Un autre grand projet concerne la création d’un lieu sur le modèle de la Tate Britain ou du Whitney consacré à des monographies d’artistes vivant en France. Ce projet est complexe à réaliser car le montage financier reste à trouver.
Vient d’être nommé très récemment un chef de projet, Alain Lombard, ancien directeur de l’Année de la Chine, pour une période de deux ou trois ans, qui va nous rendre en quatre mois une étude de faisabilité concernant ce projet.
Le Site de création contemporaine sera un lieu dédié à l’art et aux arts plastiques, puis au cinéma, à la vidéo, au design, à la mode, ce qui viendra enrichir et compléter le travail réalisé en tenant compte de l’expérience positive du site.

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