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Old Dreams

12 Sep - 10 Oct 2009
Vernissage le 12 Sep 2009

Les objets de Stefan Nikolaev traversent l'histoire: des bijoux de famille au distributeur automatique de billets, du «centre de table» rococo à un «monument» au coyote de la célèbre bande dessinée. L'artiste mélange le réel et l'artificiel et transgresse les hiérarchies sans prêter attention à leur origine ou à leur mode de production.

Stefan Nikolaev
Old Dreams

Objet, Entité, Sculpture. La sienne, la mienne, la vôtre, la nôtre.
La nouvelle exposition personnelle de Stefan Nikolaev à la galerie Michel Rein porte exclusivement sur la question de l’objet. Dans une société de plus en plus matérialiste, l’objet est l’un des moyens les plus évidents de se souvenir, de se rattacher au passé mais aussi de s’inscrire dans le présent avec son mouvement perpétuel et son réseau complexe de moments entremêlés.

C’est à travers les objets que nous explorons le monde, apprenons l’histoire et imaginons des événements inconnus. Nous essayons souvent d’exprimer des sentiments et des pensées à travers les objets, nous les transformons en symboles et les investissons de significations et d’associations. Utilisés lors des commémorations à titre de récompenses, ils deviennent aussi des éléments de vanité. Dans l’histoire de l’art, le monde des objets a offert aux artistes autant d’inspiration que le paysage ou le corps humain. Prenons par exemple le verre à vin dans les oeuvres de Willem Claesz Heda, la vaisselle de cuivre chez Chardin ou le célèbre Ceci n’est pas une pipe de René Magritte…

Les objets de Stefan Nikolaev traversent l’histoire: des bijoux de famille au distributeur automatique de billets, du «centre de table» rococo à un «monument» au coyote de la célèbre bande dessinée (Road Runner & Wile E Coyote). L’artiste mélange le réel et l’artificiel dans le monde des objets, transgresse leurs hiérarchies sans prêter attention à leur origine ou à leur mode de production. Ainsi, une des bagues gigantesques intitulée Nikola (2009) est la copie d’un véritable bijou porté par un prêtre orthodoxe (l’arrière grand-père de l’artiste) au moment de sa mort, au lit, dans les bras d’une jeune femme. La société traditionnelle balkanique a préféré à l’époque discourir sur la symbolique machiste plutôt que sur les circonstances réelles de cet événement tragi-comique. Ici la bague accède au statut de relique archéologique d’une épopée antique.

Stefan Nikolaev traite de la même manière sculpturale une autre de ses amulettes personnelles, la bague de son arrière grand-mère. Donka (2009) est une sculpture à l’aspect agressif avec ses puissantes griffes chtoniennes enserrant la pierre de granit, comme une manière de nous rappeler l’origine mythique de la bague.

Ces liens tissés avec l’histoire familiale de l’artiste donneraient un vaste terrain d’investigation à un sémioticien ; ils constituent un large champ d’étude possible des relations entre les sexes dans la société bulgare et la société balkanique traditionnelle. Leurs interprétations courantes, leurs connotations et symboles ressurgissent dans les oeuvres des artistes contemporains de façon souvent inconsciente, parfois suggérée, généralement revendiquée.

Dans What Doesn’t Kill You Makes you Stronger. Fruit of the Loom (2009), les crânes humains deviennent des coupes de fruits et révèlent une esthétique expressionniste relativement différente. La fragilité de la porcelaine, la blancheur pure du matériau, les formes exquises et le brillant délicat des objets ; toutes ces qualités pourraient facilement nous entraîner dans une certaine idée de la beauté si la composition même du matériau ne contenait pas une signification mortifère: le terme de «porcelaine d’os» est encore utilisé dans cette technique qui contient des os calcinés.

Utiliser le crâne, traditionel memento mori dans notre société contemporaine « sur-designée » et déjà envahie par ce motif, est plus pour Nikolaev un moyen de prolonger la référence à la Bulgarie médiévale de Khan Krum (VIIIe siècle après Jésus-Christ). Ce dernier ordonna que soit sculptée une coupe à vin dans le crâne de l’empereur byzantin Nicéphore Ier qu’il vainquit au combat. Les crânes de porcelaine de l’exposition de Stefan Nikolaev sont ici la démonstration physique d’une mémoire du «clan».

Dans I Hate America and America Hates Me (2009), c’est davantage en mémoire d’un événement artistique qu’a été réalisée l’image en métal du Coyote. Ce personnage de la Warner, ennemi juré du Road Runner apparaît de façon évidente – comme n’importe quel coyote présenté aujourd’hui dans un espace d’exposition – une réincarnation du célèbre compagnon de Joseph Beuys dans sa performance I like America and America Likes Me (1974). Son coyote enveloppé dans l’identifiable couverture de feutre avec sa canne s’est substitué à l’artiste-gourou et montre les juxtapositions possibles entre différentes formes d’expériences collectives ainsi qu’un dialogue entre culture populaire et culture savante.

L’expérience de Sefan Nikolaev réside dans une opposition de ses pôles d’existence. Né à Sofia en Bulgarie, il a vécu la moitié de sa vie à Paris. Même si les différences entre ces deux pays tendent à s’estomper, on ne peut cependant pas négliger la distance symbolique qui existe entre la brillante capitale occidentale et l’autre moitié de l’Europe (titre de la première grande exposition d’artistes contemporains d’Europe de l’Est après la chute du mur en 2000). L’artiste se positionne entre deux cultures et deux traditions, deux modèles d’éducation et de langage. Il tente de les interpréter et de «se» traduire dans les deux cultures tout en exprimant ses impressions et en évitant consciemment le symbolisme simpliste ou la narration.

L’objet le plus luxueux et le plus précieux de l’exposition, tant par son matériau que par sa signification, est Cry Me a River (2009). Cette réplique d’un distributeur automatique de billets est caractéristique du dialogue que Stefan Nikolaev construit entre iconoclasme et idolâtrie. Il ne s’agit pas simplement d’un ready-made ou d’une réplique d’un objet trivial dans un matériau plus noble.

On ne peut pas non plus la considérer comme une référence au Pop Art, modifiant l’échelle des nouveaux objets du désir, ni encore comme une forme esthétique, illusion d’une perfection que notre mémoire tend à produire. La réplique exacte d’un distributeur de billets galvanisé en or 24 carats devient l’autel clinquant d’un culte addictif. Le titre ironique de l’oeuvre doit être compris – selon l’artiste – comme un commentaire sur l’avenir encore obscur de la dépendance de l’homme à la machine, sur l’amour et la haine, le besoin de prothèse, la peur de l’oracle et de ses prédictions. Oswald Spengler a évidemment vu juste en disant que « l’argent est une catégorie de la pensée ». Impossible également d’oublier la célèbre formule de Fidel Castro : «le capitalisme utilise son argent, nous socialistes, le gaspillons.»

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