ART | CRITIQUE

Oh Lumière

PFrançois Salmeron
@11 Juin 2012

Boris Achour, touche-à-tout manipulant pêle-mêle de formes et de médiums, appréhende de manière intuitive la pratique artistique. Cette exposition nous propose de jeter un coup d’œil rétrospectif sur une partie de son œuvre, et constitue le contre-point illuminé de «Séances», qui se tient actuellement au Crédac d’Ivry-sur-Seine.

On entre dans cette exposition comme on découvre par hasard, en touriste égaré, les recoins d’un faubourg étranger aux ruelles escarpées, mêlant mille ambiances et impressions. «Oh Lumière» se présente en effet comme une déambulation libre et amusée au milieu d’œuvres de Boris Achour (des années 1990 jusqu’à 2012), parmi lesquelles nous trouvons des installations, photographies, collages, lumineux, poésie ou performances.

Une impression d’égarement nous habiterait donc, dans un premier temps, face à la diversité des travaux présentés. Mais alors que l’on pourrait se sentir en pleine déroute dans notre parcours, le cliché photographique intitulé justement Oh Lumière, et situé à l’entrée de l’exposition, semble témoigner, à la manière des promenades d’André Breton dans le Paris de Nadja, qu’il est des signes et des hasards auxquels on peut se raccrocher, qui peuvent donner sens, et se changer finalement en pure nécessité.
C’est comme si l’esthète flânant dans Paris, était tombé nez-à-nez devant l’écriteau de cette boutique et l’avait photographié, preuve désormais irrécusable qu’il devait persévérer dans ses convictions les plus profondes et aller coûte-que-coûte vers la susdite lumière.

Nous rencontrons ensuite deux sculptures blanches, posées à terre, dont les formes font écho à des pylônes scandant les trottoirs de nos villes, et nous voilà désormais convaincus que notre chemin, au premier abord si tortueux et discontinu, suit en réalité une certaine logique.
Les photographies Feu d’artifice Mikado et Conatus: Amidsummernightdream intègrent dans leur composition des formes géométriques aux couleurs vives, voire carrément éclatantes, jetées en l’air ou flottant à la surface d’un cours d’eau. Terre, air et eau : voici déjà trois éléments croisés sur notre route.

Le souffle, le souffle créateur quant à lui, Boris Achour semble le livrer via ce vibrant poème de Paul Éluard, extrait de Capitale de la douleur — et notamment repris dans Alphaville de Jean-Luc Godard —, dont il recopie un extrait sur un feuillet, simple feuillet sur lequel il colle une bande noire scintillant de mille petites paillettes, pareilles à des étoiles émettant dans l’obscurité.
Le souffle pour Boris Achour, c’est ainsi ce «conatus», comme le définirait le philosophe Spinoza, c’est-à-dire cette persévérance de notre être qui cherche à accroître son degré d’existence. C’est le désir de lumière et d’amour, qui eux seuls seraient capables de déployer toutes les potentialités que nous renfermons en nous:

«Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres,
Nos silences, nos paroles,
La lumière qui s’en va, la lumière qui revient,
[…] Toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser,
Le regard, la parole et le fait que je t’aime,
Tout est en mouvement, il suffit d’avancer pour vivre,
D’aller droit devant soi vers tout ce que l’on aime,
J’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière.»

Ces œuvres semblent donc vouloir saisir et l’amour et la lumière, comme Conatus: Moment, qui représente une main, dont la paume grande ouverte et les doigts grands écartés, cherchent à capter l’élan vital et à l’intégrer.

Pourtant, chez Boris Achour, tout n’est pas que lumière, comme en témoigne le disque vinyle Black Hole Sun suspendu au-dessus de nos têtes, ou bien plus encore l’exposition «Séances», qui se tient également en ce moment-même au Crédac d’Ivry-sur-Seine. En effet, cette exposition propose un ensemble de performances auxquelles on se prête dans une quasi-obscurité, cette fois-ci.
D’ailleurs, le Feu de camp Mikado que l’on trouve au milieu de la pièce centrale de la galerie, regroupe un ensemble de barres faites de différents matériaux (métal, bois, papier), que Boris Achour utilise dans ses vidéos du Crédac, dans des performances pour le moins suggestives, voire carrément érotiques.

Ici, nous retrouvons néanmoins des œuvres à la fois légères, doucement provocantes, et illuminées. Un gyrophare et des évocations solaires et sautillantes, avec des cerceaux blancs et noirs de différents diamètres accrochés à un mur, ou avec des soleils faits de collages de bandelettes pailletés qui servent habituellement dans les concours de danse et de gymnastique rythmiques.
Et quelques espiègleries, enfin, avec une attraction pour enfant recouverte d’un plastique noir, ou encore la pièce Unité!, dont le titre contraste forcément avec cette installation faite de trois pièces distinctes, à savoir une en bois posée au sol, un miroir au mur, et des tubes fluorescents au plafond.
Nous retrouvons également une série de photographies prises dans les années 90, où l’artiste se présente endormi, le visage reposé contre les haies bien taillées des jardins de ses voisins, dans les quartiers résidentiels de Los Angeles. Une œuvre à la fois performative et sculpturale, finalement, comme un ultime pied-de-nez à ceux qui croiraient encore que l’art contemporain est une pratique à dormir debout.

Å’uvres
— Boris Achour, Unité!, 2004. Bois, résine acrylique, miroir, film polyane et tubes fluorescents. Dimensions variables
— Boris Achour, Feu d’artifice mikado, 2012. Série de 3 photographies couleur. 30 x 40 cm (chacune)
— Boris Achour, Conatus: Amidsummernightsdream, 2012. Photographies couleur. 0,7 x 27,6 cm (chacune).
— Boris Achour, Contrôle,1997. Porcelaine émaillée. Dimensions variables.
— Boris Achour, Gyrophare,1997. Gyrophare et sac plastique.
— Boris Achour, Oh Lumière, 2012. Photographie couleur. 30 x 40 cm
— Boris Achour, Sans titre, 2012. Installation.

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