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Of spirits and empty spaces

Cette première grande exposition monographique du Danois Joachim Koester se présente comme un roman visuel en trois dimensions, composé d’une multitude d’histoires, introduites plutôt que racontées. Quelques bribes de textes et beaucoup d’images nous entraînent d’un épisode à l’autre sans qu’il s’agisse jamais de véritables récits. A chaque fois les informations sont minimisées, et les histoires que présentées, afin que les narrations ne se développent que dans l’esprit des spectateurs.

Majoritairement plongée dans la pénombre, dans des salles pour la plupart éclairées par la seule lumière des films projetés, l’exposition est placée sous le signe de l’occulte et de l’ésotérique.
A plusieurs reprises, de grandes planches de bois abîmées et inégales forment des sortes de palissades, dans une scénographie qui fait penser à un décor de films d’horreur. Une cabane en bois dans le même esprit a d’ailleurs été construite dans une des pièces.
Ainsi l’ambiance est posée, les Å“uvres ne sont pas simplement accrochées aux murs de façon linéaire mais plutôt mises en scène au sein de cette atmosphère générale inquiétante.

La pratique de Joachim Koester se place à la croisée de l’expérience sensible et de l’art conceptuel, sans que l’un ne prenne jamais la place sur l’autre. L’intérêt pour l’occultisme et l’ésotérisme mêlé à une approche conceptuelle met Joachim Koester en lien avec David Askevold, artiste canadien aujourd’hui quelque peu méconnu mais très influent dans les années soixante-dix lorsqu’il fut professeur au Nova Scotia College of Art and Design.

L’artiste danois s’intéresse aux modifications, perturbations de la perception, notamment à travers les substances psychotropes que la partie «laboratoire espace cerveau» de l’Institut met à l’honneur.
Par exemple avec les dessins d’Henri Michaux réalisés sous mescaline, qu’il projette très rapidement les uns à la suite des autres jusqu’à ressembler à un film animé, comme pour tenter de faire apparaître un rythme, un tracé logique qui donnerait des clés pour déchiffrer ces visions.
Aussi avec la présence récurrente du cannabis, à travers Time of the Hashshaschins, série de photographies noir et blanc représentant l’ancienne forteresse d’Alamut en Iran, aujourd’hui site archéologique. Ce château réputé imprenable abritait la secte des «Assassins», dont l’histoire veut que ses guerriers surentraînés consommaient entre autres du haschisch avant de sortir pour exécuter leurs cibles.
A chaque fois une phrase accompagne les photographies pour décrire les impressions que Joachim Koester a éprouvées durant la découverte de ce site extraordinaire. Reprenant les canons des photographies documentaires, ces images loin de livrer une description objective des lieux, renforcent plutôt leur part de mystère et sollicitent davantage l’imagination que la perception.
A nouveau une scénographie particulière accompagne ces images. Dans l’obscurité, les photographies ne sont que faiblement éclairées par des lanternes de facture orientale, faisant écho au sujet des images. L’univers des Å“uvres est extériorisé et mis en espace de façon à immerger le spectateur.

Joachim Koester s’illustre également, à l’instar de nombreux artistes contemporains, par la liberté qu’il prend à revisiter les Å“uvres de figures tutélaires, voire de mouvements entiers, de l’art moderne. Loin des citations et de l’ironie déconstructrices d’inspiration post-moderne, il utilise ces travaux comme matériau destiné à nourrir sa propre pratique.
Histories (2003-2005) est une série de diptyques basés sur les réalisations de noms célèbres de la photographie conceptuelle comme Ed Ruscha, Robert Smithson ou les époux Becher. A chaque fois, le cliché d’époque est accolé à une vue strictement similaire du lieu prise par Joachim Koester au début des années 2000. Comme son titre l’indique, cette série met l’accent sur des lieux qui sont rentrés dans l’Histoire, du moins celle de l’art, sous la forme d’images de type documentaire. Les clichés de Joachim Koester révèlent les effets du temps sur ces sites anonymes, seulement connus à travers leurs images.
C’est à nouveau l’implicite qui est suggéré, les évènements potentiels qui ont pu advenir au cours des années et qui font directement appel à l’imagination du spectateur.

La relecture de l’Histoire intervient également dans Message from Andrée (2005). Deux grands posters évoquent la tentative du chercheur suédois Salomon August Andrée et de ses deux coéquipiers de rallier, en 1897, le Pôle Nord en ballon à hydrogène. Avant de s’échouer trois jours plus tard. Dans leur équipement ont été retrouvés 204 clichés dont plus de la moitié altérés par le froid et l’humidité comportent des images abstraites faites de tâches et de rayures.
Comme avec les dessins d’Henri Michaux, Joachim Koester projette les clichés dans une rapide succession de façon à les animer, et à suggérer l’invisible de cette tragique expédition, à jamais enfermé dans cet univers de signes.

Le white cube habituel froid et impersonnel, préservant aux Å“uvres du moindre parasitage, est ici régulièrement abandonné au profit d’ambiances immersives qui correspondent à l’aspect perceptuel du travail de l’artiste.
Cette exposition offre de multiples récits sans pour autant perdre en cohérence. De plus, fait assez rare, plusieurs Å“uvres sont accompagnées de textes introductifs fixés aux murs sous la forme de cartels afin de resituer des lieux et des histoires assez peu inconnus, et de renforcer la dimension documentaire d’une partie des travaux. Les adversaires de la médiation n’apprécieront peut-être pas, les autres s’en satisferont assurément.

Å’uvres
— Joachim Koester, Morning of the Magicians, 2006. Film 16mm, noir et blanc, muet, 4’50’’
— Joachim Koester, Variations of Incomplete Open Cubes, 2011. Film 16 mm, noir et blanc, muet, 8’15’’
— Joachim Koester, Demonology, 2010. Film 16 mm, noir et blanc, muet, 4’12’’
— Joachim Koester, The Hashish Club, 2009. Installation, Film 16 mm, noir et blanc, muet, 6’. Photo numérique N&B collée sur forex
— Joachim Koester, My Frontier is an Endless Wall of Points (after the mescaline drawings of Henri Michaux), 2007. Film 16 mm, noir et blanc, muet, 10’24’’
— Joachim Koester, Tarantism, 2007. Film 16 mm, noir et blanc, muet, 6’30’’
— Joachim Koester, The Kant Walks, 2005. Photo, tirages numériques