ART | EXPO

Of Beasts and Super-Beasts

03 Mar - 07 Avr 2012
Vernissage le 03 Mar 2012

L’exposition de l’artiste indien Raqib Shaw présente une esthétique précieuse, destinée à recréer un univers fantasmagorique et mystérieux. Composées d’étranges figures à mi-chemin entre l’humanité et l’animalité, ses œuvres expriment l’angoisse contemporaine d’un monde faussement policé, où les instincts sont refoulés et soigneusement dissimulés.

Raqib Shaw
Of Beasts and Super-Beasts

L’accrochage des dessins de Raqib Shaw évoque les objets de curiosité et de vanité exhibés sur les dressoirs des princes de la Renaissance. Les références de Raqib Shaw empruntent à un imaginaire mêlant des personnages mythologiques à mi-chemin entre l’homme et l’animal, évoluant dans des environnements précieux et fantastiques, naturels et ciselés.

À partir de son œuvre Paradise Lost en 2011, les figures anthropomorphes à têtes d’oiseau, de crocodiles ou encore de tigre, à mi-chemin entre le dieu et le héros, manipulent des coupes ornées à pied en forme de griffon, des aiguières à anses en col de cygne et d’autres coupes avimorphes. Inspiré du style Empire caractéristique de l’art européen et plus particulièrement français du début du XIXe siècle, Raqib Shaw a alors commencé à créer un univers qui trouve son aboutissement avec «Of Beasts and Super-Beasts», son exposition parisienne.

Sous l’impulsion des commandes de Bonaparte devenu Napoléon Ier, les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine ont su imposer un style reposant sur les règles fondamentales de l’Antiquité et de l’art romain, en particulier. L’ornementation Empire est dominée par un esprit de symétrie renouant avec l’équilibre hiératique du style de Louis XIV.
Le répertoire iconographique fait ainsi appel aux têtes antiques, aux victoires, aux drapés spécifiques et aux ornements symétriques et symboliques; le cygne, les palmettes et les allégories égaient un style cependant sévère et mesuré. Ce style est diffusé à travers toute l’Europe par les deux architectes décorateurs qui ont publié le fameux Recueil de décoration intérieur concernant tout ce qui a rapport à l’ameublement (1812). C’est précisément cet ouvrage qui a en partie nourri l’imagination de Raqib Shaw.

Raqib Shaw a donc choisi de poursuivre cette réflexion menée sur le dessin, l’ornement, la peinture, le style et sa perception. Les dessins présentés comme une installation, invitent le spectateur à considérer le décor à la fois dans le détail et dans son ensemble. Chaque dessin est tracé au trait, repris à l’encre et à la peinture puis rehaussé d’émail, de strass et de dorure. Cette esthétique précieuse est destinée à recréer un univers fantasmagorique où le mystère règne avec l’étrange et l’expérience du sublime peut conduire selon l’artiste à «l’overdose sensorielle».

Le style de Raqib Shaw ferait presque référence au premier style Empire; celui du Général Bonaparte revenant triomphant de l’Egypte chargé de trésors mystérieux. Les sphinges, créatures et dieux à mi-chemin entre l’homme et l’animal font alors rêver un occident qui se remet du bain de sang révolutionnaire et se prépare aux guerres napoléoniennes.
On passe d’un style à l’autre en même temps que l’on passe d’une monarchie à un empire. L’art est alors plus politique que jamais, et le style de Percier et Fontaine est la démonstration de cette nouvelle puissance. Raqib Shaw crée dans la Suite Of The Rouge Boudoir Of Beasts un univers où l’animal exprime la nature primaire de cette force sensuelle et excessive où la violence est légitime.
À l’instar des figures mystérieuses de Jérôme Bosch, Shaw exprime à travers l’animal l’angoisse contemporaine d’un monde faussement policé où les instincts fondamentaux sont refoulés et soigneusement dissimulés. Il inclut dans les ornements des caractères toujours présents et actifs. Ces paradoxes sont visibles dans le détournement syncrétique des modèles d’ameublements tels que les cartels au style rigide à chapiteau de temple égyptien décorés de grecques, à guirlandes de fruits portées par des mascarons à tête de bélier (titre du dessin de l’horloge). Ce mobilier, flambeaux, cratères, lustres et motifs fidèles au classicisme de l’Empire sont enrichis par Raqib Shaw de scènes animales faussement bucoliques, d’ours et de singes se livrant à des activités parodiant notre propre perception de la société et du pouvoir.

«Of Beasts and Super-Beasts» semble dépasser la question du décoratif pour interroger le rôle de l’art dans la société occidentale. Comment l’art a t il pu servir à codifier les rapports sociaux entre les hommes? La surenchère dans le raffinement peut-elle permettre à l’homme d’échapper à sa propre animalité?

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