ART

Nuit d’un jour

PEmmanuel Posnic
@07 Déc 2008

Véronique Boudier n’avait pas réexposé à la galerie Chez Valentin depuis 2002. Un temps conséquent qu’elle a mis à profit pour explorer la vidéo, enfin détachée de la photographie et de l’installation, ses corrélats traditionnels. Une exposition pour se poser la question de la vidéo justement: son rapport au temps, à la narration, au texte et bien entendu au spectateur.

L’artiste n’en est pas à ses premières réalisations. La vidéo parcourt son œuvre depuis l’origine. Comme pour la photographie et l’installation, elle met généralement son propre personnage au centre de la narration à travers des scènes tragi-comiques aux effets tant soignés que spontanés qui tentent d’introduire la complexité de la condition féminine à l’heure de la confusion des genres.

Le travail de Véronique Boudier explore les facettes de cette indétermination, de ce désenchantement qui opèrent dans toutes les strates de la société.

Nuit d’un jour associe deux vidéos, l’une au titre éponyme et la deuxième intitulée Deu vie.

Deu vie montre en plan quasiment fixe un site sur la corniche d’Ostende en Belgique. Une foule dispersée franchit le champ de la caméra dans le même sens vers une destination qui ne nous est pas révélée. Ce qui nous est révélé en revanche, c’est sa provenance: le feu d’artifices des bords de mer. Nous l’apprenons en voyant défiler sur l’image les paroles de l’artiste, dans le flux de sa pensée, comme un retour sur l’événement au moment du montage vidéo.

Des mots chuchotés et aussitôt écrits, puis des silences, avant la reprise de l’écriture. Véronique Boudier y décrit le paysage, les gens qui le traversent, ses sentiments, ses envies et les paroles de son compagnon que l’on imagine à côté d’elle au moment du tournage.

On y découvre en filigrane une femme désabusée, aux antipodes du spectacle qui s’offrait alors à ses yeux. Une soirée de fête que rien ne vient réellement animer, pas l’ambiance d’Ostende encore moins son compagnon malhabile avec elle. Filmer le ratage, l’échec sans le faire paraître à l’image. Comme si celle-ci, dans sa neutralité brutale, couvrait les tourments et les revers les plus cinglants. Ou comme si elle les devançait, et préparait le terrain aux mots, plus à même d’exacerber les tensions.

Un échec, des non-dits encore persistants, une vie qui s’épuise en lambeaux. Véronique Boudier étire l’étrange impression de malaise qui nous étreint comme défile sans discontinuer ce flot d’inconnus, des couples, des familles réunis pour le spectacle.
Dans Nuit d’un jour, c’est le temps qu’elle étire, là aussi à travers les lambeaux d’une vie qui s’éteint. Etirer le temps ou au contraire le rétrécir, la distinction n’est pas si évidente.

Nuit d’un jour, c’est une heure en plan fixe, le temps pour qu’une pièce d’habitation soit réduite en cendres. C’est peu pour les souvenirs qui s’y rattachent. C’est beaucoup pour le spectateur. Véronique Boudier retient ce clivage majeur pour interroger la distance qui sépare la narration de celui qui la regarde, pour questionner l’effroyable beauté de ce conte au ralenti qui fait fi du passé et s’achève sur un spectacle de ruines fumantes.

Hormis la correspondance avec l’autre vidéo (il est dans les deux cas question de feu) Nuit d’un jour, c’est aussi par extension l’anéantissement de l’intime, du cocon familier, de la part de féminité qui, dans la compréhension générale, inspire l’espace domestique.

D’autres correspondances s’affichent entre les deux vidéos : l’échec, le doute, une certaine forme de mise à nu dans la destruction. Des thèmes qui animent souvent les autofictions de Véronique Boudier et qui rencontrent ici une réflexion précieuse sur le temps, l’attente, le mouvement à l’intérieur de l’image immobile et bien entendu sur les mécanismes de la narration.

On a connu Véronique Boudier plus démonstrative, plus sauvage, plus directe. On la découvre ici de manière plus subtile mais aussi plus sèche, plus rude. Plus nue finalement peut-être.

Véronique Boudier
— Nuit d’un jour, 2008. Vidéo. 59 min.
— Deu vie, 2008. Vidéo. 17 min 11s.

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