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Nouvelles impressions d’Afrique

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Le travail photographique de Zbigniew Libera se base sur la critique du flot toujours plus important d’images médiatiques dont il pervertit les codes pour offrir aux spectateurs les perspectives d’un imaginaire régénéré.

L’exposition «Nouvelles Impressions d’Afrique» rend hommage au travail littéraire extrêmement complexe de Raymond Roussel, écrivain et poète du début du XXe siècle, admiré, notamment, par les surréalistes et Georges Perec. Il ne s’agit pas de voir dans cette référence de Zbigniew Libera le snobisme d’un artiste cultivé, mais de comprendre qu’elle place son travail sous le sceau de la critique radicale, du jeu sémantique et de l’illusion du réel.

La première de deux séries qui composent l’exposition, «La Vue» (autre référence à un ouvrage de Roussel), propose des photographies de paysages oniriques, bien qu’en apparence familiers. Habitué à être sollicité par des images du monde, l’œil du spectateur cherche à décrypter le cliché, à définir l’origine géographique, l’organisation spatiale, le relief ou la composition géologique et minéralogique du lieu capté par l’appareil photographique de Zbigniew Libera.
Dans cet exercice, le regardeur se trouve confronté à l’immanquable incohérence de l’agencement des différents éléments de la photographie, qui perturbe ses repères traditionnels en matière de paysage. Les vues de Zbigniew Libera projettent celui qui les observe dans l’étrangeté d’un univers indéfinissable, pour ne pas dire abstrait.

La perte des perceptions communes est le résultat du dispositif mis en place par l’artiste, qui consiste à réaliser, à l’aide d’un objectif macro qui perturbe les rapports d’échelle, des prises de vues de fentes formées par la reliure des magazines. Le sentiment premier d’une photographie prise au ras du sol avec une faible profondeur de champ s’explique alors par la proximité d’une page légèrement bombée, qui génère, sur certains clichés de la série, une forte impression de texture, de matière proche de la peau animale et du sédiment.
Les territoires de Zbigniew Libera sont parfois brouillés par une légère pellicule brumeuse, qui évoque la chaleur d’un désert, la proximité d’une chute d’eau ou la diffusion lumineuse d’un couché de soleil. Les ciels y sont tantôt d’un bleu puissant et lourd, tantôt écarlates ou violines et se mélangent, dans le flou climatique, aux sols et aux reliefs jusqu’à produire, dans certains cas, des palettes chromatiques, qui ne sont pas sans rappeler les Colorfields Painting de Mark Rothko. Les clichés ainsi obtenus constituent une typologie de paysages exotiques et inconnus.

Les photographies de Zbigniew Libera offrent donc une topographie réinventée, dans laquelle le pli du magazine constitue le nouveau paradigme spatial, la nouvelle ligne d’horizon. Le spectateur fait ainsi l’expérience de l’imaginaire, au moyen d’une remise en cause du statut de l’image standardisée. L’artiste polonais pervertit poétiquement celle-ci, tout en interrogeant les relations qu’entretient l’image avec la réalité.

Ces questions sont également au cœur de la seconde série présentée, composée principalement de vues architecturales de mosquées ou d’églises. Ces photographies, proches des cartes postales démodées vendues aux touristes devant les hauts lieux touristiques, comportent toutes un dérèglement de perspectives, une impression de trompe-l’œil ou de distorsions, qui semblent témoigner d’une manipulation technique. Pourtant obtenu sans trucages ni traitements particuliers, ces clichés sont le résultat, là encore, d’une recherche formelle et critique à partir des magazines.

Zbigniew Libera tente donc, en jouant sur les ambiguïtés du réel, de proposer de nouvelles perspectives propices à éveiller le merveilleux chez le spectateur, tout en interrogeant le statut de l’image reproductible à l’heure du numérique et de sa diffusion massive.
 

Zbigniew Libera
— La Vue n°1, 2004. Photo couleur encadrée. 102 x 152 cm.
— La Vue n°2, 2004. Photo couleur encadrée. 102 x 152 cm.
— La Vue n°3, 2004. Photo couleur encadrée. 102 x 152 cm.
— La Vue n°4, 2004. Photo couleur encadrée. 102 x 152 cm.
— La Vue n°5, 2004. Photo couleur encadrée. 102 x 152 cm.
— La Vue n°6, 2004. Photo couleur encadrée. 102 x 152 cm.
— Sans titre n°1, 2004. Photo couleur encadrée. 61 x 41 cm.
— Sans titre n°2, 2004. Photo couleur encadrée. 61 x 41 cm.
— Sans titre n°3, 2004. Photo couleur encadrée. 61 x 41 cm.
— Sans titre n°4, 2004. Photo couleur encadrée. 61 x 41 cm.
— Sans titre n°5, 2004. Photo couleur encadrée. 61 x 41 cm.
— Sans titre n°6, 2004. Photo couleur encadrée. 61 x 41 cm.

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