ART | EXPO

Nouvelles de la kula

21 Fév - 26 Avr 2014
Vernissage le 21 Fév 2014

S’inspirant symboliquement de la cérémonie d’échange de dons du peuple trobriandais appelée la kula, l’exposition présente une sélection d’artistes qui cherchent, par des moyens techniques, des choix iconographiques ou narratifs, à associer dans leurs œuvres l’enchantement, la dépense et l’art, dans un intérêt tout autant esthétique que politique.

Pauline Curnier-Jardin, Joao Maria Gusmao, Pedro Paiva, Louise Hervé, Chloé Maillet, Thierry Liégeois, Len Lye, Pia Maria Martin, Mika Rottenberg, Jon Kessler, Thomas Teurlai, Rémi Voche
Nouvelles de la kula

La kula est une cérémonie d’échange de dons à laquelle les peuples traditionnels des îles Trobriand et d’autres du Pacifique occidental se livrent avec passion. Au cours de cette cérémonie qui est aussi un voyage périlleux à travers les mers, ce n’est pas le commerce qui prime, mais la dépense: donner plus que l’autre. Ils échangent des parures de coquillage, belles, inutiles et rares. Les Trobriandais vénèrent ce qui est beau à leurs yeux, comme si la beauté rendait les choses non seulement plus précieuses, mais plus vivantes. L’ornement et la magie constituent chez ces peuples du Pacifique des «techniques d’enchantement», pour parler comme l’anthropologue Alfred Gell, la vie est conçue là-bas comme une fête parce que les rapports y sont régis par la dépense plus que par l’économie. La kula pourrait alors servir de modèle à notre société désenchantée par le capitalisme et l’esprit de rigueur.

En art, la modernité s’est pourtant constituée contre l’ornement et la dépense somptuaire, c’est pourquoi les artistes ont dû trouver d’autres techniques pour contourner ce tabou ornemental. La première technique fait appel à l’impact psycho-physique des objets dans l’espace, des objets qui, prenant corps, peuvent interagir avec ceux des visiteurs, comme des personnes. Des sculptures et des installations de Thomas Teurlai se dégage un sentiment de vitalité contenue mêlé de danger potentiel: les matériaux qu’il utilise comme le gaz, le feu et l’électricité, et les outils qu’il détourne, produisent des machines à la fois séduisantes et intouchables. C’est cette même attention au bricolage qui permet d’animer ou de ressusciter les objets, chez Thierry Liégeois. Mais chez lui, l’énergie qui circule produit [ou provient d’] un imaginaire façonné par la violence iconographique du heavy metal et un certain cinéma de série B, où zombies, cow-boys et autres robots se livrent à des parties de cartes endiablées.

La seconde technique d’enchantement fait l’objet d’un traitement plus détaillé: l’image animée, film ou vidéo. Que le cinéma soit apparu moins comme une belle réussite technique que comme une magie est attesté par de nombreux témoignages. Il permet d’animer l’inanimé, de restituer la vie, de créer un autre monde. Le cinéma, entre autres arts plastiques, a pu faire survivre l’animisme, c’est-à-dire une propension à attribuer aux choses une vie et une conscience, en pleine modernité. Les cinéastes expérimentaux comme Hans Richter ou Len Lye, Méliès et les surréalistes ne se sont pas privés d’exploiter les ressources surréelles du cinéma. Les vidéastes contemporains, en particulier ceux présentés ici, renouent avec cette veine animiste du cinéma des origines. Ils utilisent pour cela deux manières différentes. Certains s’inspirent clairement de films ou de textes ethnographiques, et font apparaître des images païennes, des rituels étranges, des techniques magiques. C’est ainsi que chez Pauline Curnier-Jardin la grotte de Lourdes devient une grotte enchantée, pleine d’images remontant à la préhistoire; que Rémi Voche se filme accomplissant dans la forêt ou la montagne des rites inspirés des films de Jean Rouch et que Mika Rottenberg invente et montre des modes de production au croisement de la magie et de la technologie.

En renouant avec l’artisanat du Super 8 et du 16 mm, d’autres retrouvent les joies et les difficultés des premiers maîtres du cinéma fantastique, dans une perspective moins nostalgique qu’archéologique. C’est le cas de Pedro Paiva et Joao Maria Gusmao, dont les courts films relatent des expériences ou des tours de magie qui ont lieu dans un monde étrange et inquiétant. En filmant patiemment image par image, Pia Maria Martin anime de véritables chorégraphies de choses vivantes et de lieux hantés. Enfin, Louise Hervé et Chloé Maillet rappellent l’ambiance fantastique et macabre qui entoura l’invention du cinéma en associant, à travers l’histoire d’un papier peint tueur, les derniers moments d’Oscar Wilde et un épisode de Fantômas.

Tous les artistes qui participent à «Nouvelles de la kula» cherchent donc, par des moyens techniques, des choix iconographiques ou les histoires qu’ils racontent, des formes pouvant associer l’enchantement, la dépense et l’art, dans un intérêt tout autant esthétique que politique.

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