ART | CRITIQUE

Notturno

PFrançois Salmeron
@13 Fév 2013

Notturno apparaît comme un montage de vidéos de divers formats. A travers cette œuvre composite, abandonnant tout souci de linéarité, Ulrich Polster interroge la mémoire et l’éclatement identitaire des pays de l’Est depuis la chute du Mur de Berlin. L’artiste revient également sur son parcours et sur ce qui constitue le moteur de sa créativité.

Ulrich Polster est un adepte du collage. L’œuvre Notturno reprend cette grammaire visuelle bien particulière, en mêlant des vidéos de différents formats (HD, numérique, VHS ou Super 8), provenant de sources tout aussi diverses (vidéo amateur, documentaire, extraits de films). Adoptant un point de vue volontairement décousu, brisant tout récit linéaire ou tout développement chronologique, Ulrich Polster opte donc pour une réalisation fragmentée, lui permettant d’illustrer le démantèlement des pays de l’Est depuis la chute du Mur de Berlin en 1989.

L’artiste est en effet originaire d’Allemagne de l’Est. Il appartient à cette génération qui passa sa jeunesse sous la chape du communisme, et rêvait de voir son pays s’ouvrir au monde et aux valeurs des Occidentaux. Ulrich Polster rend ainsi compte de l’évolution chaotique des pays communistes, et interroge leur mémoire collective. Notturno propose des images de la guerre de Crimée (1853-1856), et montre également quelques lieux symboliques de la Seconde Guerre Mondiale, dont Yalta, où Staline s’administra la direction des pays de l’Est lors de la Conférence de 1945, sous le regard bienveillant d’un Winston Churchill mâchouillant son cigare.

Le travail d’Ulrich Polster évoque aussi les diverses transformations et les troubles que rencontrent les pays communistes depuis leur ouverture à l’Ouest. Car depuis, la réalité sociale des anciens satellites n’en demeure pas moins complexe: difficultés économiques, montée inquiétante des nationalismes, démantèlement des institutions. Citoyen de ce monde, l’artiste sonde la possibilité pour un individu de s’intégrer dans une communauté, et plus particulièrement, sa propre soif d’appartenir à une collectivité et de s’y sentir épanoui.

Notturno emprunte d’ailleurs son titre à un poème de Paul Celan, écrivain roumain qui connut les camps de concentration lors de la Seconde Guerre Mondiale et qui s’installa ensuite à Paris, tout en continuant à écrire dans sa langue maternelle, l’allemand. L’enjeu est alors de sonder l’identité des individus par delà les épisodes marquants de l’Histoire collective et de revenir notamment sur le parcours de l’artiste.
Car à travers cette vidéo fragmentée, Ulrich Polster se met en quête de lui-même, et tente de restituer les bribes de sa propre évolution, afin de voir ce qu’est devenue sa vocation pour l’art. «Je pensais ne plus être du tout capable de créer; j’étais vide, pratiquement mort. Le montage au début de ce film est un poème à propos de cette situation personnelle», concède-t-il. Il y mêle des impressions et des citations, déverse tout un stock d’images et de souvenirs, à la manière de L’Atlas de Gerhard Richter, auquel il fait d’ailleurs explicitement référence.
Les images, accompagnées de la musique folk de Vic Chesnutt, ou des violons et pianos de Henryk Górecki et Max Richter, ont des accents mélancoliques. Des souvenirs obsédants, comme celui de la petite église de Notre-Dame devant laquelle paissent paisiblement des moutons, des images d’enfance, ainsi que des paysages brumeux et romantiques, renvoient à la beauté de la Saxe ou de la Crimée. Tantôt un soleil voilé nous éblouit, tantôt il neige. On se laisse finalement emporter dans les expérimentations et les sophistications de Notturno, suivant les méandres des réminiscences d’Ulrich Polster.

Å’uvre
Ulrich Polster, Notturno, 2011-2012. Super 8, 16 mm, Hi-8, VHS, vidéo, transférés sur vidéo HD. 31 min

 

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