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Nos charmes n’auront pas suffi

Dès sa première création chorégraphique Imminence qui a obtenu un prix spécial du jury au concours Danse élargie, la chorégraphe Mélanie Perrier a retenu notre attention. Elle explore le territoire du corps, l’espace entre les êtres, l’absence... grâce à une grande précision et une grande attention portée à l’écriture et à la qualité de ses collaborations. Une chorégraphe qui a su trouver l’équilibre juste entre passion intellectuelle et justesse corporelle.

Pour commencer dîtes-nous un mot de votre parcours?
Mélanie Perrier. J’ai d’abord eu un détour par la performance et l’image, où pendant une dizaine d’années j’ai travaillé autour de situations où les questions du deux et de la relation à l’autre étaient déjà prégnantes. La danse est venue s’infiltrer petit à petit dans mon corps, d’abord par le biais de rencontres décisives qui m’ont ensuite conduite à reformuler ce que pouvait être un geste et la nature du mouvement. Pour aboutir à cette question: Que vient-on déposer sur un plateau?

Quelle est l’histoire de la compagnie et de son nom surprenant, Cie2minimum? Quelques mots sur le 2, une notion centrale pour vous?
Mélanie Perrier. Le mystère de la relation à l’autre et l’immensité des territoires que cela couvre forment le nœud de mon travail depuis plus de quinze ans. Il m’est donc difficile d’envisager les choses hors d’un rapport, d’une relation, d’un autre en face, hors du 2. A l’endroit de la danse, le duo s’est imposé comme l’équation de base, là où le trio qui compte une personne en trop et le solo où manque une personne.
Donc la compagnie s’est donc appelée «2minimum» à partir de 2010. Il m’est alors apparu que ma place était hors du plateau, celle — luxueuse — de suivre de face ce qui advient, tout en enrichissant mes méthodes de travail dans des rapports étroits de collaboration et de mutualisation de compétences, en premier lieu avec Cécile Médour, qui m’assiste depuis la dernière création. La compagnie se précise et se bâtit dans cette richesse des compagnons de route, qui me pousse à affiner les méthodes, le langage, les rapports et les outils.

Votre nouvelle création Nos charmes n’auront pas suffi se présente comme un solo de Julie Guibert. Pourtant ce solo ne peut-il pas être considéré comme un duo avec l’absence de l’autre en songeant au rapport de la chorégraphe à l’interprète?

Mélanie Perrier. Évidemment, j’ai d’emblée conçu ce solo comme un duo hors champ, construit à même cette relation très spécifique et privilégiée avec l’interprète. Placer l’altérité de cette rencontre comme le premier élément de création là où il s’agit d’écrire avec et pour l’interprète et afin d’inventer une écriture en écho et un langage commun. En réalité, il y a toujours des absent-e-s dans mes pièces…

L’écriture s’est construite autour de la notion de tonus musculaire. Pourriez-vous en dire davantage?
Mélanie Perrier. Il s’agissait de partir du point de départ, de ce qui fonde le mouvement, de penser la présence comme une tension contractile, et de voir ensuite comment elle allait vibrer.

Quel rapport construisez-vous entre ce tonus squelettique et la nature d’une relation amoureuse?
Mélanie Perrier. Nous nous sommes davantage consacrées sur la peau et les muscles profonds, précisément pour dessiner des trajets infiltrant ces zones, et bâtir la danse à l’intérieur du corps. Une façon de poser l’état amoureux du côté de ce qui e-meut, telle une sensation qui s’infiltre sous la peau, de manière indélébile et tenace.

Imminence était un duo pour trois femmes dans lequel la lumière avait une importance qui dépassait le simple engagement esthétique, quelle est sa place dans cette nouvelle création?

Mélanie Perrier. Dans la précédente création la lumière était mobile, sur le plateau et indépendante de lui, ici elle vient habiller littéralement l’interprète pour être dépendante de ses mouvements. Toujours considérée comme un partenaire, la lumière n’est pas au-dessus ni en plus mais elle est là dès le départ, avec et sur l’interprète. Ainsi c’est la danseuse qui détermine et rend visible l’espace dans lequel elle se trouve, ce que l’on peut voir ou non.

Le phénomène physique de la vibration se manifeste au point de contact des partitions chorégraphiques, lumineuses et musicales. Comment travaillez-vous avec vos collaborateurs Silvia Borzelli, Alexandra Bertaut et Erik Houllier?

Mélanie Perrier. Avec Silvia Borzelli, qui créé une musique originale pour la pièce, nous travaillons parallèlement depuis plusieurs mois. N’étant pas dans un registre de la commande vis-à-vis de la musique, nous cheminons ensemble, elle navigue au côté du mouvement à mesure que la danse se construit et rentre en écho. Nous avons appris avec l’interprète à travailler de plus en plus en silence, afin de préserver la couleur qu’allait donner la musique. La musique vient ainsi pénétrer la danse, l’accompagner, et rentrer en dialogue.
Avec Alexandra Bertaut et Erik Houllier nous avons travaillé ensemble à l’élaboration du costume et de la lumière. Il a fallu tout construire, du dispositif lumineux au costume comme support de la lumière et ligne graphique, et ce afin de rendre Julie Guibert autonome.
Outre ces aspects techniques, c’est l’espace à construire sur le plateau qui est le point où nous faisons dialoguer nos regards.

Vous dites vouloir vous délester de «l’exigence de lisibilité». Quel rapport au public envisagez-vous avec Nos charmes n’auront pas suffi?
Mélanie Perrier. Sans perdre de vue ce qui est donné à voir, il ne s’agit pas de construire la danse en fonction de l’image qu’elle peut produire. Je reste très vigilante quant à l’écueil plastique que peut créer cette utilisation de la lumière, et à garder toujours le corps comme territoire. Cela permet d’offrir un mouvement en perpétuel changement où les repères spatiaux vacillent. Je reste attachée à proposer une expérience polyphonique et kinesthésique au spectateur.

Selon vous, ce solo qu’ «il s’agit d’une pièce qui ne transporte pas une histoire mais une géographie

». Nous sommes donc dans une fiction non-narrative qui s’attache davantage à l’espace qu’au temps du déroulé. Comment envisagez-vous cela?
En premier lieu à l’endroit de l’écriture : celle de déterminer de nouvelles cartographies pour le corps de l’interprète et les manières de les traverser. La pièce s’élabore dans une géographie de la traversée interne à l’interprète, et nous en donne à voir les résonances. Partir de l’intériorité du corps, de ses temps et non de sa capacité à dessiner des formes définies sur le plateau. Cette géographie c’est déjà la lecture que l’on propose du corps et tel qu’on le donne à voir et le rend présent. Votre écriture chorégraphique est toute en précision, en attention aux subtiles variations qui entourent le mouvement. Elle est aussi nourrie de lectures: Levinas, Tarkos, peut-être Ghérasim Luca... d’autres sans aucun doute. Qu’est-ce qui peut relier vos écritures du corps?
Mélanie Perrier. Certains auteurs me suivent et me nourrissent depuis de nombreuses années, en premier lieu, effectivement, Lévinas. A chaque création, j’entame un travail de recherche, je constitue un corpus et des bagages pour nous accompagner dans la création. Ces lectures viennent segmenter les journées en studio, créer des échos au mouvement, voire même initier la danse. Le solo est né de la lecture d’un poème de Tarkos, qui, plus d’un an après, reste toujours aussi prégnant et présent. Information
Nos charmes n’auront pas suffi sera présentée les 22 et 23 mai 2014 dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.

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