DANSE | CRITIQUE

Nkululeko

PSmaranda Olcèse-Trifan
@04 Mar 2009

Avec la compagnie sud-africaine, l’énergie et la virtuosité sont au service d’une danse militante, politique et sociale, qui puise dans l’histoire et le corps la force d’un renouveau.

La semaine passée, le Cnd s’est mis à l’heure Pantsula. La compagnie Via Katlehong Dance menait les jeux aussi bien sur la scène du Grand Studio où la pièce Nkululeko a été donnée plusieurs soirs de suite, que dans l’atelier où une trentaine d’adolescents ont été invités à se familiariser avec les codes de la culture pantsula — musique, danse, gestuelle et style d’élocution, mode — née dans les townships, dans les années 60-70, sous le régime de l’apartheid en Afrique du Sud.

La compagnie emprunte son nom au quartier mythique dans l’East Rand où ce mouvement contestataire est né. Nkululeko a été créée en 2004 pour célébrer les dix ans de l’abolition de l’apartheid. Si en 2009 cette pièce reste toujours aussi festive et gouailleuse et évite de tomber dans les écueils du spectaculaire, c’est parce que le combat est loin d’être fini. Il s’agit d’une lutte au quotidien contre des traumas dont nous avons du mal à deviner la profondeur. Combat aussi pour améliorer les perspectives des jeunes des quartiers déshérités.
La danse qui nous est donnée à voir s’expose à la critique d’être toujours dans l’éclat, dans la monstration et la virtuosité, d’être une danse qui ne réfléchit pas véritablement sur elle même. Mais cette danse se constitue en une réaction somatique, charnelle, parfois mordante, à la situation insoutenable dans laquelle l’Afrique du Sud a été plongée pendant des longues années. Avant d’être une forme spectaculaire, cette danse est une forme d’entre soi et de mode d’expression d’un vécu commun.

Transmise dans la journée aux jeunes, le soir, elle occupe la scène. Elle est construite selon un dispositif scénique traditionnel, impliquant frontalité et séparation nette des séquences. Pourtant ce dispositif est submergé par l’énergie, le plaisir de bouger, le rythme contagieux. Les échanges avec le public -— adresse directe, prise à partie, participation au rythme par les applaudissements -— se multiplient, pour qu’au dernier mouvement de la pièce la danse soit partagée : des personnes du public sont invitées sur la scène et elles entrent à coeur joie dans la danse.

Tout au long de la pièce, il y va de prouesses techniques, de virtuosité, de confrontation et de défi, de dérision et de détournement des codes. La danse est rythmée par les frappes de mains et de pieds ; tout un arsenal de chaussures sera à tour de rôles utilisé : des converses, des gumboots, des semelles en métal, des claquettes se succèdent dans des frappes à la force toujours incroyable. Il y a par moments de brèves séquences narratives pour évoquer une confrontation entre groupes ou styles différents, une manifestation qui finit en rixe avec les autorités et fait des victimes, ou encore une séance de transe à travers laquelle le groupe tente de ramener à la vie l’un de ses membres. La musique peut être grandiloquente et pathétique, ou carrément de la musique de boite de nuit à l’atmosphère surchauffée et érotique. Mais il ne s’agit pas d’autre chose que de raconter l’histoire inscrite à même les corps et vécue au quotidien pendant l‘époque de l’apartheid.

Loin d’avoir perdu sa vocation contestatrice et de s’enliser dans des propositions historicistes et folkloriques, la cie s’est trouvée une nouvelle vocation dans l’intérêt et le soutien accordé aux jeunes des quartiers démunis. Elle s’est constituée en un lieu de création d’entre soi, de lien social et de valeurs ; elle revendique sa mission culturelle, éducative et sociale.

— Chorégraphie : compagnie Via Katlehong Dance
— Interprétation : Steven Faleni, Vuyani Feni, Mpho Malotana, Vusi Mdoyi, Buru Mohlabane, John Moloi, Mukhulu Motshele, Tshepo Stanley Nchabeleng, Xolani Qwabe

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