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NieuwZwart

Dans un marécage obscur, des râles émanent de quatre créatures rampantes. Une moustiquaire délimite l’espace de ce monde organique et primitif, fantastique, où un homme debout lit le texte de Peter Verhelst en anglais. Gavin Webber revêt ici les contours d’un héros de film d’aventure, en proie à un univers sauvage. Il déclame une prose issue de Nieuwe Sterrenbeelden, recueil construit autour de l’idée du périple :

“A travers des marais ai pataugé
Humains et autres
À travers des forêts ai erré…”

En accord avec la certitude du chorégraphe qu’ “Un art ne peut se résumer à un commentaire d’actualité”, ce texte en exergue, qui “décolle du présent”, “nous projette dans un passé immémorial ou au contraire une vision futuriste”, donne le ton à l’ambiance générale de la pièce. Une pièce sombre où le corps est confronté à un lieu imaginaire rempli d’obstacles, de matières collantes, physiquement éprouvantes.

Des sortes d’agents des forces de l’ordre inspectent ce territoire marécageux recouvert de bâches noires. Dotés d’une torche puissante, ils en effraient les créatures sauvages. La bâche noire se retire, les créatures nues s’agitent comme des vers délogés par un prédateur. Des hurlements, des gémissements se font entendre. Tels des vampires, ces êtres semblent allergiques à la lumière. Ils adoptent des attitudes prostrées tandis que les hommes en uniforme se transforment en médecins du monde.

L’absence de langage articulé chez les corps rampants contraste avec celui des musiciens – les hommes en uniforme –, désormais en lévitation au dessus de la scène. Telles les divinités d’un panthéon antique, ils structurent progressivement la gestuelle anarchique de cette vermine, qui porte bientôt des vêtements et accède enfin à la station verticale.

Les mouvements s’harmonisent. Des sonorités indiennes accompagnent des roulades souples, des saltos complexes qui permettent aux danseurs de déployer un registre presque aérien avec une fluidité grâcieuse et animale.

Puis, emportée par le hard rock, une tornade de combinaisons de survie adopte le motif de la spirale. Des effusions, des chocs électriques brisent les corps. « Nous travaillons comme dans une “jam session”, souligne le chorégraphe, chacun doit être à l’écoute des autres. Le processus de recherche nous entraîne vers des états très bruts, proches des instincts, des forces primordiales qui agitent l’être.” Mauro Pawlowski, figure majeure du rock belge indépendant, amplifie aussi cette libération des énergies par l’improvisation : « Mauro est un musicien fantastique, intrépide, imprévisible, réactif, insiste Wim, Avec lui, nous fixons des lignes mais chaque représentation garde une liberté de jeu, la fraîcheur de l’instant ».

Les danseurs se foncent dessus comme des autos tamponneuses, avec une telle violence que cela remettra en question, pour quelques uns d’entre eux, les représentations suivantes. Déployant des techniques d’étranglements — croisillons des pieds répétés autour de la gorge — ils inventent une modalité gestuelle toujours très proche des arts martiaux.

Traversée par des fulgurances, cette danse passe de l’harmonieux porté “sur pilotis” aux mouvements reptiliens ou félins — fluides et rapides — jusqu’ aux pires décharges et déplis de l’inconscient, avec parfois des allusions faunesques, des figures grotesques de Goya ou d’Ensor… Dans ce spectacle signifiant Nouvelle Naissance, Wim Vandekeybus est parvenu à faire vibrer les singularités de ses sept nouveaux danseurs, poursuivant la voie d’une danse obsessionnelle et intérieure.

— Conception, mise en scène, chorégraphie, scénographie : Wim Vandekeybus
— Interprétation : Tanja Marín Friojónsdóttir, Dawid Lorenc, Bénédicte Mottart, Olivier Mathieu, Máté Mészáros, Ulrike Reinbott, Imre Vass, Gavin Webber ((danseurs), Mauro Pawlowski, Elko Blijweert, Jeroen Stevens (musiciens)
— Musique originale : Mauro Pawlowski
— Textes : Peter Verhelst
— Assistante artistique et dramaturge : Greet Van Poeck
— Assistant mouvement : Iñaki Azpillaga
— Assistant mouvement additionnel : Germán Jauregui
— Stylisme : Isabelle Lhoas assistée par Frédérick Denis
— Lumières : Alban Rouge, Wim Vandekeybus
— Son : Benjamin Dandoy