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Niele Toroni

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

Pour sa quinzième exposition à la galerie Yvon Lambert, Niele Toroni donne une tonalité particulière à l’espace. La rétrospective qu’il met en scène dans la première salle laisse la place à l’épuration sous la grande verrière. L’accumulation, la répétition, le peint et le non-peint, notions présentes dans son travail, entrent en écho avec le lieu et prennent corps de manière tridimensionnelle.

Catalogue: les murs de la première salle répertorient plusieurs œuvres peintes entre 1970 et 2006. Épinglées, clouées ou posées verticalement au sol, elles se transforment en carte d’identité artistique.
La différence d’accrochage et la succession de papiers “japonais”, krafts, calques, toiles avec ou sans châssis, affiches, photographies, ou encore toiles cirées, retracent l’ensemble d’une carrière picturale. Ces supports ne présentent que les empreintes systématiques d’un pinceau plat N° 50 posées à intervalles réguliers de 30 cm, traces qui ne parlent que d’elles-mêmes et qui se répètent à l’infini.
L’espacement qui les sépare offre à la couleur la possibilité de se déployer à la surface mais aussi dans le lieu qui les accueille. La galerie Yvon Lambert, dans toute sa matérialité architecturale, offre à son tour cet intervalle, ce manque habité par la matière picturale invisible.

Tout comme l’exposition «Histoire de peinture» au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 2001, les œuvres présentées ici introduisent une temporalité, «une dimension historique à un travail qui ne change qu’en fonction des lieux et de l’espace». Les empreintes mettent l’accent sur leurs conditions d’exposition mais ne sont garantes d’aucun autre discours que celui de leur matérialité propre.

Issu du groupe BMPT ( Buren, Mosset, Parmentier, Toroni), association conçue en 1967, Niele Toroni définit davantage ses interventions plastiques sous le titre de «travail/peinture». Il démythifie l’acte de peindre et la peinture elle-même. Il fait apparaître sa réalité proprement dite, sa matérialité, celle du support, de la couleur, et de la forme.

On se souvient alors d’une déclaration faite en janvier 1967 par les quatre peintres lors du Salon de la Jeune Peinture: «Puisque peindre c’est un jeu, puisque peindre c’est accorder ou désaccorder des couleurs, puisque peindre c’est appliquer ( consciemment ou non) des règles de composition, puisque peindre c’est valoriser le geste, puisque peindre c’est représenter l’extérieur (ou l’interpréter, ou se l’approprier, ou le contester, ou le présenter), puisque peindre c’est proposer un tremplin pour l’imagination, puisque peindre c’est illustrer l’intériorité, puisque peindre c’est une justification, puisque peindre sert à quelque chose, puisque peindre c’est peindre en fonction de l’esthétique, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse, de la guerre du Viêt-Nam, nous ne sommes pas peintres».

Mise en boucle, la sonorité de ce «manifeste», renvoie, à elle seule, aux caractéristiques des productions de chaque artiste.

Indice d’une dématérialisation: deux panneaux de plexiglas en vis-à-vis, sur lesquels se détachent les traces bleues laissées par l’artiste, servent de transition, de passage vers l’autre «chapitre» de l’exposition. Le support bi-dimensionnel se fait plus discret, il semble vouloir disparaître. Deuxième salle, le vide… ou presque.
La grande verrière apporte la même blancheur que les toiles utilisées parfois par l’artiste. Au centre, quatre vitrines horizontales posées sur des tréteaux de bois attendent de nous que l’on se penche pour découvrir ce qu’elles abritent.
Quatre livres aux pages imprimées par ces empreintes devenues si familières, s’y déploient en accordéon. Étonnée par le contraste brutal entre la première salle qui fourmille d’œuvres et le dénuement de la pièce dans laquelle je me trouve, je pivote sur moi-même pour prendre de nouveaux repères.

Une feuille de papier est collée au mur et porte plusieurs indications. «Salle – = +» résume parfaitement ce qui se dégage de l’atmosphère générale de ce nouvel environnement.
«3 empreintes de pinceau n°50, jaune – «point» de départ, rouge – «point» central, bleu – «point» final… Hommage à la queue leuleu” illustre la démarche de l’artiste et nous fait basculer dans un registre plus littéraire. Alors que l’on a l’impression étrange d’entrer dans une toile de Toroni transposée dans l’espace, ce dernier nous ramène à la surface d’une page blanche avec son ouvrage «Alaqu euel eul eu».

Anarchie syntaxique: le titre défit les lois de la lecture et se laisse tronçonner au bon vouloir de son auteur. Les espaces se glissent là où on ne les attend pas. Ils donnent de l’ampleur aux lettres comme aux empreintes colorées. L’artiste suggère peut-être avec humour, la manière systématique qu’il utilise pour appliquer les traces qui sont devenues sa signature, les unes après les autres, les unes derrière les autres.
Comme un jeu de piste, on cherche dans la pièce ses trois interventions «ponctuelles». Celle que l’on a perçu tout de suite nous fait face lorsqu’on entre mais les deux autres se cachent. Lorsqu’on découvre enfin la dernière, en bas à gauche du mur, comme si l’on avait atteint la dernière page, on a le sentiment d’avoir survolé l’ensemble d’une carrière, d’une vie passée à la recherche d’une identité propre, celle de la peinture et de ses caractéristiques intrinsèques.

Traducciòn española : Santiago Borja

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