ART | CRITIQUE

Nichts Geht Mehr

PAurélien Pelletier
@06 Avr 2011

Après avoir recouvert en 2008 la façade de l'IAC de Villeurbanne d'une palissade de bois à l'occasion de «Fabricateurs d'espaces», Hans Schabus est invité pour une exposition personnelle intitulée «Nichts Geht Mehr» (Rien ne va plus). Révélant toute sa polyvalence en multipliant les médiums, l'artiste met le lieu à l'épreuve à travers un panel d'œuvres pré-existantes comme inédites.

L’artiste autrichien Hans Schabus s’était déjà fait remarquer à l’Institut d’art contemporain avec Demolirerpolka en 2008, cette immense palissade de bois qui masquait entièrement la façade du bâtiment, comme l’on barre l’accès et la visibilité sur les chantiers de construction. Ce touche-à-tout, sculpteur au sens le plus large du terme, vidéaste, marcheur (la liste ne s’arrête pas là), a la particularité de réaliser des Å“uvres aussi bien monumentales que minimales, construire une «montagne» ou travailler sur le vide.

Nichts geht mehr, rien ne va plus effectivement et ceci dès l’entrée de l’exposition. Nous sommes accueillis par Voyage autour de ma chambre (2010). Une caravane a été démontée pan par pan puis réagencée avec fantaisie, chaque partie fixée bout à bout dans leur longueur.
L’expérience débute ainsi par une sorte de barrière qu’il faut traverser, créant de nouveaux murs incongrus qui viennent redessiner l’espace. Si le titre est en français c’est qu’il fait référence à l’ouvrage de Xavier de Maistre paru en 1794. Soldat mis aux arrêts pendant quarante-deux jours dans sa chambre, l’auteur va se lancer dans une description minutieuse de celle-ci, usant de nombreux détournements pour écrire un anti-roman de voyage.
Ce renversement parodique s’avère être une des clés de lecture du travail d’Hans Schabus. L’artiste n’a de cesse d’utiliser les éléments pour ce qu’ils ne sont pas, dans des dispositions qui ne sont pas les leurs, voire même exactement à l’inverse de leurs fonctions.

A ce propos, Meterriss (2011), Å“uvre centrale au sens propre comme au figuré, apparaît sans conteste comme le clou du spectacle. Une grosse chaîne métallique d’une longueur totale d’environ soixante-quinze mètres, reliée à distance régulière par des tendeurs, vient enserrer sept des douze salles de l’exposition à un mètre de hauteur. La tension qu’elle imprime sur les murs est telle que les maillons ont grignoté le plaquo, si profondément par endroit que les structures de bois et d’aluminium qui supportent les plaques ont été tordues, broyées par cette force destructrice.
Il s’agit d’un travail in situ par excellence, d’une pièce qui ne prend pas seulement en compte la nature et les caractéristique de l’espace visible dans laquelle elle se trouve, mais nous en révèle également les fondations, ses constituants, qui restent habituellement les faces cachées de la structure de monstration.
La chaîne apparaît à nouveau comme un obstacle, d’autant plus que nous avons l’habitude de la retrouver dans les espaces d’exposition pour marquer l’interdiction de passer. Malgré sa taille impressionnante ce n’est pas le cas ici, l’artiste nous invite encore une fois à bouleverser nos habitudes en effectuant un geste de transgression, le franchissement, pour simplement poursuivre notre parcours.

A l’intérieur du périmètre formé par la chaîne, Hans Schabus a poursuivi ses actions incongrues en ouvrant l’accès au local technique, petit espace bétonné légèrement en contrebas, vidé pour l’occasion, qui participe comme Meterriss au dévoilement des parties inaccessibles de l’IAC pour le visiteur lambda.
Au mur sont accrochées cinq photographies ((Arrival photographs) New York, Frankfurt, Bregenz, Venise, Rotterdam, 2009) où l’on peut voir l’artiste naviguer dans un petit voilier qu’il a construit lui-même, devant des paysages comme Manhattan, Venise ou Rotterdam. Ces fictions font partie d’un projet débuté en 2002, décliné sous plusieurs formes, qui paraissent à cet endroit si particulier de l’exposition en décalage avec l’élément central. Ce travail est déjà riche de sa signification propre et semble ici surajouté.

C’est également le cas avec plusieurs autres Å“uvres qui viennent rappeler une des thématiques fondamentales chez Hans Schabus, son atelier. Il est l’endroit où l’imagination prend forme, lieu de création, destruction, re-création, il est fréquemment convoqué au sein même de l’espace d’exposition.
Par exemple la video Atelier (2010), qui débute par un état des lieux des alentours de l’atelier d’Hans Schabus, puis se rapprochant petit à petit semble vouloir cerner celui-ci comme pour se préparer à y pénétrer par effraction. Une bande son de western vient de manière absurde ajouter une dimension fictionnelle à ces images.
Une autre vidéo d’une quarantaine de minutes en plan fixe, Béton (2008), nous montre l’artiste dans son atelier en train de préparer du béton. A travers chacune des étapes de ce long processus, qui se terminera par le rebouchage d’un puits creusé pour une Å“uvre précédente, c’est tout le processus de création artistique qui est mis en images. Depuis l’idée qui germe dans le cerveau, aux ébauches et jusqu’à la réalisation finale, c’est un cheminement long et rigoureux qui s’opère dans l’atelier, à l’opposé du mythe de l’artiste illuminé pris d’inspirations soudaines et miraculeuses.

Avec cette exposition, l’Institut d’art contemporain semble avoir voulu mettre l’accent sur l’aspect protéiforme du travail d’Hans Schabus, en nous dévoilant simultanément les multiples directions dans lesquelles il a su s’engager, à travers de nombreux médiums et en mêlant pièces antérieures et nouvelle productions in situ. Il en résulte un certain manque de cohésion, une disparité entre les Å“uvres alors que la plus importante s’évertue au contraire à relier la majorité des salles entre elles et faire percevoir au visiteur le lieu comme un tout plutôt que comme une succession d’espaces.
Meterriss prend une telle importance, aussi bien par sa taille que par la radicalité de l’action qu’elle produit, qu’elle aurait pu suffire à faire exposition. A côté les autres travaux, dont la plupart sont tout à fait dignes d’intérêt, peinent à trouver leurs justes places.

— Hans Schabus, Béton, 2008. Vidéo couleur, 41’30’’
— Hans Schabus, (Arrival photographs) New York, Frankfurt, Bregenz, Venise, Rotterdam, 2009. Série de cinq photographies. Impression lambda contrecollée sur aluminium
— Hans Schabus, Voyage autour de ma chambre, 2010. Caravane, matériaux divers
— Hans Schabus, Atelier, 2010. Projection video couleur. 9’28’’
— Hans Schabus, Meterriss (trait de niveau), 2011. Chaîne en acier,

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