ART | CRITIQUE

New Paintings

PFlorence Mottot
@17 Oct 2009

Corps allongés et boursouflés, couleurs acides, portraits d’icônes démystifiées… L’américain Peter Saul propose une esthétique de la déformation. Pourfendeur de l’autorité et de la norme, pourvoyeur d’hybride et d’étrange, l’artiste façonne un travail de sape contre la culture bien-pensante occidentale.

A travers l’œuvre d’une des figures majeures de l’art contemporain aux États-Unis, la galerie Praz-Delavallade propose rue Louise Weiss une mise en lumière du monstrueux.
L’artiste, Peter Saul, détourne des icônes puisées dans l’imagerie américaine, ce qui l’a longtemps rangé dans la catégorie «Pop Art». Il se distingue pourtant d’un Andy Warhol: l’ engagement politique est clairement affirmé dans son travail, et sa source d’inspiration uniquement humaine. Pas un objet ne sert de support de représentation.

L’œuvre de Peter Saul est avant tout contestataire. Saul développe une thématique violente, pornographique ou scatologique: exhibition de physiques obscènes, de figures libérées du carcan du beau, de la mesure, de la proportion. Les corps sont sexués à outrance, les têtes étirées, les appareils génitaux surdimensionnés, les bouches et les lèvres distendues, la chair déborde. En un mot, les figures sont défigurées et les formes déformées. Cette manière de peindre des corps repoussants, refoulés par la peinture académique occidentale, est l’une des caractéristiques du travail iconoclaste de Peter Saul.

Saul porte un jugement féroce sur la société contemporaine et ses travers: la vitesse, le stress, l’excès, la violence et la puérilité. La première toile, à l’entrée de la galerie, faite en acrylique et huile, représente un boxeur noir, dont les mains grossièrement déformées, peintes en violet, se détachent du fond vert vif de la toile, ce qui accroît leur potentiel imaginaire d’agressivité chez le visiteur. L’emploi de couleurs acides, délibérément vulgaires, et le refus de toute perspective font de la toile une sorte de vignette de «comics».
Peter Saul ajoute des éléments verbaux à son travail, qui renforcent le côté vignette de son art. Dans une bulle dessinée au-dessus du boxeur, on peut lire: «Go ahead say the world», sorte de clin d’œil à la bande dessinée, mais aussi, dans le contenu, message de psychologie positive, référant au type du «winner» américain. Cette bulle prend un sens particulier lorsqu’on apprend que la boxeur est une représentation détournée de Barack Obama.

La deuxième salle présente le portrait d’une femme qu’on imagine ivre, tenant un verre de vin à la main: Woman Drinking Martini. Elle a les traits déformés, bouffis, les yeux vitreux, les contours du visage aléatoires se détachent d’un fond couleur rose vif, teinte liée à l’univers sage de la petite fille.

Plus loin, l’artiste écorne l’image du chien fidèle et dévoué, meilleur ami de l’homme. Sur la niche est inscrit «Man’s Best Friend». Pour autant, la bête est représentée sous des traits grossiers, déformés, la mâchoire carnassière tient un morceau de viande sanguinolent. Peter Saul peint des figures symptomatiques de l’Amérique en marche. Ces œuvres lui servent à mettre en avant l’avidité, la paresse, l’agressivité d’une Amérique triomphante, voilant sa chute.

L’artiste porte un même regard décalé, plein d’un humour en demi-teinte sur le travail artistique. Dans la première salle, l’une des toiles reprend une scène historique. La tête décapitée d’un homme pend d’une hache. Au second plan, une femme, dans un lit, semble se tordre de douleur ou d’un plaisir masochiste. Pour cette scène de massacre, Peter Saul reprend les principes de constructions de la peinture classique: il réalise d’abord un dessin sur la toile, travaille le fond, puis les éléments secondaires de la composition et enfin s’attache à la figure noble de l’œuvre, tout en forçant volontairement sur l’outrance, le mauvais goût des couleurs.
Une forme de grossièreté caricaturale se dégage des personnages. Cette relecture à la fois fidèle et infidèle de la peinture est une manière de casser l’académisme de l’art, en particulier l’idée de hiérarchie des sujets, la prééminence académique des motifs historiques sur les motifs de genre.

Dans la seconde salle, une toile représente un homme se coupant le nez avec une scie. Une bulle rose fournit une légende à la toile, pleine de dérision: « Worse Than Van Gogh». Hommage ou pique au fameux peintre, qui peut aussi être interprété comme le regard aigre-doux, désabusé de l’artiste sur lui-même.

Au final, Peter Saul joue avec l’académisme pictural, tout comme il renverse les valeurs de la culture populaire américaine, pour développer son propre langage fait de mauvaises blagues, d’humour sombre et d’irrévérence: une sorte de joie cynique adolescente.

Peter Saul
— Woman Drinking Martini, 2009. Oil on canvas. 120 x 90 cm.
— Worse than Van Gogh, 2009. Oil on canvas. 110 x 100 cm.
— One Too Many, 2009. Oil on canvas. 120 x 90 cm.

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