ART | CRITIQUE

New Found Land

PEmmanuel Posnic
@23 Mar 2009

New Found Land est une expérience inédite du Point éphémère, à la fois chevillée au site et complètement ailleurs. Marie-Jeanne Hoffner y plante le décor d’une géographie impossible et la base d’une réflexion sur la notion de surface, son statut, son éloquence et la possibilité d’en entrevoir la chair.

Marie-Jeanne Hoffner situe son travail dans le territoire de l’inframince, à l’orée du volume lorsque la surface s’apprête à être traversée. Pas tout à fait dehors, ni tout à fait dedans. Plutôt sur le seuil, la lisère, dans un entre-deux que le spectateur est invité à franchir. La sculpture, l’installation mais aussi le dessin, la photographie et la vidéo sont mis à contribution pour explorer ce qui semble être pour l’artiste l’interstice où tout se joue, quand les frottements peuvent se produire et la fiction saborder le réel.

Ou en tout cas le suspendre. New Found Land ressemble à ce moment. La paroi (New Found Land, 2009) que Marie-Jeanne Hoffner érige au centre de l’espace d’exposition échappe à la perspective et à l’évidence du lieu. En suivant les lignes que lui impose la présence d’un escalier et sa coursive, la paroi vient autant souligner la séquence architecturale qu’en masquer l’omnipotence lourde et carnivore. Surtout, elle s’effeuille en trois tranches et s’évide au centre jusqu’à former un «passage-paysage» reprenant les traits monolithiques d’une chaîne de montagne.

Le New Found Land, cette terra incognita qui résonne comme un no man’s land, se découvre dans ce franchissement. C’est-à-dire dans le doute d’une matérialité qui se dérobe (ne traverse-t-on pas l’idée d’un paysage en négatif?) et dans une illusion qui au contraire s’installe progressivement, barrant l’espace tangible et déprogrammant le schéma classique de la perspective.

A mi-parcours de l’expérience, à l’intérieur de l’œuvre, l’architecture industrielle originelle réapparaît alors en creux, comme peut apparaître la vraie nature de l’installation, des plaques de plâtre harnachées à la structure. Pas d’habillage ni d’apparat particulier: la mise en exposition de l’espace suppose une mise à nu des techniques, ainsi qu’une traduction au plus près et au plus juste de ce que peut être cet espace.
Pour Marie-Jeanne Hoffner, la mémoire de l’hôte, et même au-delà, les pulsations du lieu ou de l’espace environnant sont toujours déterminant dans son travail de superposition et de stratification.

De l’autre côté, une fois le chemin emprunté, il s’agit déjà d’une autre histoire. Mais les résonances se poursuivent, notamment dans cette vidéo dont le champ implique l’enfilement de trois pièces, le salon, l’entrée et la chambre (Michaël, 2009).
Dans ce plan fixe éminemment structuré, un personnage déambule à la recherche d’un objet égaré. On le voit entrer et sortir du champ de l’image comme une balle de flipper viendrait heurter les bords avant de rebondir de l’autre côté. Sa présence, qui surgit comme une mise en abîme du parcours que le spectateur vient réellement d’effectuer, brise le dialogue que la caméra semblait établir avec la régularité de la grille architecturale. Elle souligne également à quel point chaque espace imaginé par Marie-Jeanne Hoffner suggère sa possible transgression. En quelque sorte, la surface de l’écran fendue par l’acteur rejoint celle de New Found Land.

La surface plutôt que le volume d’ailleurs. Voire même la surface de la surface qu’il s’agit d’éprouver devant la photographie sur papier d’un papier blanc plissé (Australie, 2009) ou devant ces plans d’habitation dont le tracé n’apparaît que dans les césures faites sur la feuille (Glow cut, 2009). C’est derrière la surface que s’envisagent les trajectoires promises par l’oeuvre et c’est à travers l’expérience de la traversée, physique ou mentale, qu’elles se réalisent.

Les paysages de nature, les environnements urbains, la maison, tout un corpus de lieux de mémoire à la fois intimes et collectifs, servent de matrice à cette exploration sensible. Et c’est d’ailleurs parce qu’elle convoque la sphère publique et privée, l’expérience commune et individuelle de l’espace que l’œuvre de Marie-Jeanne Hoffner constitue une forme de partage, un moment du vivre ensemble, c’est-à-dire un « pour soi avec les autres ».

Marie-Jeanne Hoffner
— New Found Land, 2009. 3 murs en plaques de plâtres découpées.(env. 400 x 650 x 190 cm).
— Australie, 2009. Impression jet d’encre sur papier 180 g. 60 x 90 cm.
— Glow Cut, 2009. 2 papiers fluorescents découpés. Encadrés, 60 x 80 cm.
— Michaël, 2008. Projection vidéo. 7 min.

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