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Neotropic

PAlexandre Quoi
@12 Jan 2008

Discours écologique et réflexion sur les représentations de la nature s’entrecroisent dans les travaux de Mark Dion et Bob Braine réunis à la galerie in Situ pour célébrer plus de quinze années d’explorations communes dans les forêts tropicales d’Amérique centrale et d’Amérique du sud.

Situé à l’interface entre art et science, le projet artistique de Mark Dion consiste en une réflexion épistémologique sur l’histoire des sciences naturelles. Deux champs d’investigations y sont ainsi couramment privilégiés: d’une part, l’étude des institutions culturelles et des modèles muséographiques, depuis le cabinet de curiosités jusqu’au muséum d’histoire naturelle, et, d’autre part, l’analyse des représentations de la nature et du domaine de l’écologie.

Englobant l’ensemble de ces préoccupations, l’exposition «Neotropic» met tout particulièrement en lumière l’importance du voyage et de la collaboration dans la praxis de l’artiste. Elle a été conçue, en effet, comme une célébration de plus de quinze années d’explorations des tropiques américains et de réalisations communes menées par Mark Dion avec Bob Braine, un ami proche depuis leur formation reçue aux États-Unis, au début des années 1980, à la Hartford Art School.
Pour ces deux compagnons de voyages habitués à endosser le rôle du naturaliste, les forêts tropicales d’Amérique centrale et d’Amérique du sud offrent un terrain d’inscription exemplaire à leurs travaux d’inspiration écologique. Véritable laboratoire de l’évolution, la jungle tropicale est dotée d’une diversité biologique unique au monde, qui s’avère toujours plus menacée par l’exploitation humaine.

Les photographies de Bob Braine, sélectionnées parmi les milliers d’images documentant ses incursions tropicales, montrent aussi bien des représentations d’observations de la faune et de la flore, que des vues de campements et d’environnements tropicaux urbains ou forestiers. Partant, l’artiste invite à s’interroger sur les projections idylliques attachées traditionnellement au décor exotique de la jungle, synonyme de paysages d’une innocente beauté originelle, lors même que l’équilibre de cet exceptionnel système naturel subit un processus d’altération irrévocable.

Les installations foisonnantes d’objets divers et de spécimens naturels que propose Mark Dion valent également comme un témoignage d’une activité de recherche. Mais plutôt que fournir des informations scientifiques concrètes, elles visent davantage à délivrer un commentaire critique, à la fois sur l’aveuglement de nos sociétés modernes face au besoin impérieux de préserver la biodiversité, et sur l’idéologie rationaliste sous-tendue par les méthodes taxonomiques des sciences naturelles.

Avec une certaine ironie, Mark Dion adopte une posture fictionnelle de scientifique lorsqu’il expose ici The Desk of a Tropical Ecologist (1999), un «bureau» précaire en branchages recouvert de tout l’attirail d’un entomologiste, ou cette vitrine de musée, à l’intérieur de laquelle est soigneusement organisé et classé le fruit de ses prélèvements effectués en 1991 dans la jungle vénézuélienne, lors d’une expédition de trois semaines pour le projet On Tropical Nature.

Le procédé d’accumulation, ainsi que la présence des caisses de transport et du matériel muséographique indiquent clairement qu’aux yeux de l’artiste, la nature même des espèces et spécimens collectés — qui se retrouvent parfois recyclés d’une proposition à une autre —, est moins importante que leur arrangement. Considérant la scénographie d’exposition comme une forme d’art à part entière, Mark Dion aime à s’emparer des conventions de monstration des institutions scientifiques pour les pousser jusqu’à l’exagération ou à l’absurde.

Ce principe non dénué d’humour est au combien manifeste dans la vaste installation Department of Tropical Research (2005), déposée au sol de la galerie, qui regroupe tout l’équipement et les instruments nécessaires à ses voyages exploratoires. Les inscriptions lisibles sur les malles métalliques font référence à une campagne conduite en Guyane en 1916 par le naturaliste américain William Beebe (1877-1962). Porté par une admiration pour cet illustre explorateur de zones reculées et hostiles, Mark Dion a entrepris différents voyages sur ses traces pour mieux comprendre les motivations qui pouvaient animer à l’époque ce genre d’individus prêts à risquer leur vie pour servir la connaissance scientifique.

En réinvestissant de telles modalités d’approche de l’environnement, Mark Dion entend démontrer que l’idée de nature est d’abord une construction culturelle.

Mark Dion & Bob Braine :
— Departement of Tropical Research, 2005. Objets divers. Dimension variable.
— On Tropical Nature, 1991. Objets divers. Dimension variable.
— The Desk of a Tropical Ecologist, 1999. Objets divers. Dimension variable.

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