Le succès et l’efficacité de l’intégration de Never more, will we be silenced!!! dans le bâtiment nous ont convaincus de raviver le signal qui s’éteindra en décembre 2010. L’extinction des feux donnera lieu alors à une exposition des deux artistes.
Never more, will we be silenced!!! est un message issu d’un graffiti devenu le titre de l’installation. Conçu pour répondre à différents sites ou différentes configurations, le signal fait intervenir suivant une temporalité fixée par la nature du lieu successivement trois couleurs : le bleu, le jaune et le rose. La vigie de Point Ephémère transformée en phare évoluera tous les quatre mois au rythme des trois couleurs.
Qui êtes vous, d’où venez-vous et parlez-nous de l’intérêt et la particularité d’un travail en duo ?
Nathalie Brevet. On vient de deux univers complètement différents, Hughes vient de l’univers de l’image, du graphisme, et moi je viens de l’univers des sciences humaines, de la sociologie et de l’urbanisme. On a commencé à travailler ensemble en 2001.
Hughes Rochette. Le fait de travailler à deux est basé sur la spécificité d’un travail élaboré autour de la discussion, notre démarche est discussion. L’élaboration de nos installations est vraiment due à une notion d’échange qui va être la base du travail. On travaille énormément à partir de signes urbains ou d’objets collectés dans la ville (graffiti, panneau publicitaire, échafaudage, etc).
Nathalie Brevet. Tous les projets partent d’un même point de départ, c’est un questionnement qui va susciter l’envie de travailler. Cela me renvoie à notre premier projet qui parlait du rôle de la voiture1. Nous partions du principe que l’automobile n’avait pas toujours existé et qu’un jour elle laisserait place à d’autres modes de déplacement. Nous voulions confronter cette idée avec l’existant. L’origine du projet s’est fait par une discussion, puis par des rencontres, notamment avec un ancien galeriste, aujourd’hui collectionneur en Belgique, qui nous a encouragé à mettre en place ce projet. C’est par des rencontres que les choses se sont mises en route.
Un des aspects principal de votre travail est de réaliser des interventions in situ, (Cellula, installation au collège des Bernardins en 2009, [A] venir, installation au Centre d’Art de Chelles, Les Eglises, en 2005…), l’enjeu d’un tel projet est-il de révéler le bâtiment dans ses lignes de force, tel que vous l’entendez, vous le ressentez ou tel qu’il est ?
Hughes Rochette. Forcement on est tenté de répondre les deux ! Le rapport à l’installation in situ nous intéresse depuis le début. Avec le projet sur la mobilité on commençait déjà à travailler sur la mise en espace d’un lieu. L’exposition [A] venir à Chelles est la première installation pour laquelle on prend complètement en compte le bâtiment. Cette installation a inauguré la programmation du Centre d’Art et le début des travaux de rénovation du bâtiment. Il y a eu une réelle intervention physique : nous avons réalisé une dalle d’étanchéité. En noyant, en inondant ces deux églises le but était de donner à voir le bâtiment, de révéler cette architecture. Avec 9 mètres sous voûte on se retrouvait avec un immense miroir qui donnait un sentiment d’abîme très fort. Seule une structure lumineuse reprenant les formes d’un panneau publicitaire éclairait l’espace. La lumière et les reflets renvoyaient les images du bâtiment. Il s’agissait pour nous de donner à voir le lieu et d’interroger l’espace. Il y a aussi cette question du mouvement et du corps qui nous intéresse. Dans ce cas de figure, une installation in situ est une manière de donner à percevoir un bâtiment tel que nous voulons le faire ressentir au corps même du visiteur. A Chelles, ils pouvaient aussi découvrir l’installation de l’extérieur en regardant par des oeilletons poser sur les plaques de bois qui obstruaient les ouvertures. La notion d’intérieur et d’extérieur est récurrente dans notre travail. Elle permet d’intégrer l’intégralité du bâtiment et de son contexte.
Pourtant l’installation n’est pas visible de l’intérieur à point Ephémère ?
Hughes Rochette. Effectivement, l’installation est principalement visible de l’extérieur, mais il y a aussi ce rapport intérieur/extérieur au niveau de la grille « jardin d’enfants » où le visiteur peut découvrir un ensemble de fluos disposé en cascade dans l’escalier. La lumière souligne l’intégralité de la tour. Elle est présente depuis les premières marches en bas, elle est perceptible par la rosace, et se termine en haut avec ces lignes qui viennent couper les plans comme des tableaux en bandes. Les fluos en vrac sur les marches permettent de porter un regard sur l’intérieur du bâtiment depuis l’extérieur. Le rapport est inversé. L’installation implique de contourner le bâtiment pour le voir sous un autre angle.
Pouvez-vous me parler de l’importance de la temporalité de la pièce ?
Nathalie Brevet. L’utilisation de la lumière, de la couleur (bleu, jaune, rose) et l’idée de la temporalité découlent de l’histoire de la pièce. Cette pièce est née lors d’un voyage à Lisbonne. Elle est issue de deux situations qu’on a vécues coup sur coup. Au moment de Noël sur la place du Commerce, un jeu de lumière, bleu, jaune, rose balayait l’espace en alternance. Les couleurs se succédaient rapidement et venaient happer le corps d’un homme qui dormait sous les arcades de la place. La lumière au lieu de rendre visible cachait cette présence. Dans le quartier d’à côté, en passant sous un passage, il y a avait aussi un jeune homme qui dormait, dissimulé sous un carton et au-dessus de lui il y avait ce graffiti Never more, will we be silenced!!! On a raccroché les 3 couleurs et le titre du message. Sauf que pour nous la lumière devait s’installer, habiter un espace. Cette pièce n’est pas unique, l’idée est de la remettre en place dans des lieux différents et de calquer la temporalité sur la nature de l’événement et du lieu d’accueil.
Hughes Rochette. Pour revenir sur l’histoire de la pièce, on a un type qui dort et qui, parce qu’on se retrouve en période de fête, disparaît complètement. L’histoire de la temporalité c’est de dire que ces gens sont là tout le temps et sous prétexte qu’on doit habiller la ville pour la rendre plus festive on va mettre des décorations qui rendent leur présence caduque. Ces couleurs vont faire un appel, et cet appel renvoie au titre de la pièce.
Nathalie Brevet. Le point commun entre l’installation à Merlimont pour EDF et celle de Point Ephémère c’est qu’elles soulignent une partie endormie du bâtiment. À Merlimont, c’était un toit terrasse laissé à l’abandon, l’idée du signal était de raviver cette partie du bâtiment. Idem pour Point Ephémère.
Vous accordez dans votre travail une place prépondérante à l’urbanisme et à la notion d’espace public. Le titre de votre installation fait d’ailleurs référence au Street art. Point Ephémère essaie d’être actif dans les cultures urbaines en offrant ses murs aux graffitis. Dans quel registre vous situezvous par rapport à l’acception traditionnelle du graffiti ? Vous sentez-vous proches des artistes de rue et de leur culture ?
Hughes Rochette. a notion du Street Art ne relève pas directement de nos préoccupations, tout ce qui renvoie au tag, à la signature, nous intéresse mais ce n’est pas à ces formes-là que l’on s’attache. Nous nous intéressons au graffiti dans son rapport aux mots et aux messages. C’est très présent dans différents projets. Le premier intitulé Réflexions urbaines mettait en exergue des phrases qui sont issues de messages comme « Seuls les mots peuvent ». Le sens du message est clair, ce qui nous interroge ce sont les raisons qui ont poussé cette personne à inscrire ce message sur un mur.
Pour les Réflexions urbaines , nous partons de graffiti existants pris en photo. L’écriture est détourée et les mots gravés sur un gobo en verre prévu pour être enchâssé dans un projecteur à découpe. Du graffiti original nous gardons une empreinte lumineuse immatérielle Ce qui nous intéresse c’est le caractère éphémère du graffiti. Ces messages ont une durée de vie très courte dans l’espace public. L’idée est de leur donner un coup de projecteur en véhiculant ces différents messages de manière immatérielle. C’est en fait un travail sur l’appropriation et l’éphémère.
Nathalie Brevet. Les rapports aux couleurs, aux dessins dans le tag sont très impressionnants. Ca me fait penser à un reportage réalisé à New York au début des années 80 où clairement il y avait une réelle préoccupation de visibilité dans cette ville. La plupart des supports dont les graffeurs se servaient, étaient liés au mouvement, comme le métro, qui parcourait l’ensemble de la ville. Ces gestes m’impressionnent par cette volonté d’occupation de l’espace, et par les traits techniques des dessins. C’est donc une forme en tant que telle et en même temps il y a d’autres types de graffitis qui se rapportent beaucoup plus au langage explicite, aux mots. C’est le graffiti et ses sources qui nous intéressent, c’est le langage textuel plus que le langage formel qui nous intéresse.
H – Qu’on mette en place une installation dont le titre est issu d’un graffiti et que cette installation soit un signal lumineux produisant un appel autour d’un bâtiment par rapport au questionnement du « on ne nous fera plus jamais taire » c’est prendre en compte tout ce qui est lié au bâtiment. Never more, will we be silenced!!! n’est pas notre message, c’est un collage de deux éléments. Point Ephémère est entouré de gens à qui on n’accorde pas beaucoup de place dans l’espace public. La question du contexte, de la situation de l’oeuvre est étonnante et récurrente puisque dans l’installation Never more, will we be silenced!!! #1 aux Magasins Généraux, il y avait cette présence très forte de graffitis. Il y avait également ces squatteurs jamaïcains. Il est intéressant de se retrouver dans ce même contexte au Point Ephémère avec la présence de réfugiés afghans et la présence de nombreux graffs. Que ce signal lumineux fasse résonner ceux qui sont dans l’exclusion, ceux qui viennent affirmer leur présence par leur signature, nous en sommes très heureux.