PHOTO | CRITIQUE

My Way

PAnne Malherbe
@12 Jan 2008

L’exposition «My Way» n’a pas usurpé son titre. Chaque artiste en effet trace sa route au sein de la réalité, tantôt s’emparant de tel de ses aspects, tantôt s’y introduisant directement.

Franck Breuer est l’exemple même de l’artiste qui élit un pan de la réalité et y revient sans cesse ; si bien qu’à regarder ses photographies, on croit voir la réalité entière réduite à ces hangars perdus en zone industrielle, à ces poteaux électriques et à ces panneaux publicitaires qui se découpent sur le ciel.
A la fois rejetons et rebuts de la société ultra libérale, ceux-ci interdisent, en raison de leur anonymat, toute identification du lieu où ils prennent place — ils pourraient être ici ou ailleurs. Cependant les photographies, en extrayant ces constructions de leur contexte, leur rendent une géométrie, une couleur, un lieu, une existence donc, qui sculpte le vide qui les entoure.

Chez Frank Perrin, c’est l’ennui qui domine avec ses larges photographies panoramiques de rues (à Palm Beach ou à Los Angeles), vues frontales organisées sur trois plans (la chaussée, les maisons, un ciel uniformément bleu ou tranquillement pommelé derrière des palmiers). Les images sont saturées par le paysage urbain, mais rien n’accroche le regard.

Un parapluie gigantesque est posé dans un coin de la galerie. C’est avec lui qu’Alexandra Mir a réalisé un ensemble de performances relatées par des photographies, qui ont consisté à se promener dans l’espace public avec l’objet démesuré.
Déployé, le parapluie occupe de l’espace, contraignant celui qui le tient et ceux qui le croisent à circuler précautionneusement ; il peut aussi abriter plusieurs personnes. Fermé, il encombre, tenant quasiment la place d’une personne. Autrement dit, le parapluie sculpte la présence du promeneur dans l’espace et remet en forme les rapports sociaux.

La notion de relation est au cœur d’un triptyque de Julien Prévieux. Chaque élément du triptyque est constitué d’une page du Capital de Marx encadrée de mots qui font référence à l’ultra libéralisme contemporain. Ceux-ci, au moyen d’un code base, ont été décodés du texte même, et reliés en réseau les uns aux autres. Le présent s’inscrit dans un texte passé, au sein d’un système indéfiniment refermé sur lui-même.

Le couple new-yorkais constitué par Delia Gonzalez et Gavin Russom, performers, plasticiens et musiciens, présente une installation troublante. Deux raquettes de tennis sont posées sur une stèle, tels des gisants. Un fond sonore hypnotique, au rythme d’un échange de balle, s’échappe du mur qui les sépare à la place du filet habituel. L’ambiance est à la fois suspendue et angoissante, l’homme semblant définitivement aboli au profit d’un univers aseptisé et artificiel.

Les travaux de Philippe Meste créent un contraste radical avec le précédent : une vidéo dans laquelle un ancien boxeur, en un «ultime combat», frappe une voiture à coup de maillet, des pages de magasines où les visages lisses des mannequins sont maculés de taches réelles de sperme. L’irruption d’une violence gratuite et irrépressible prend place, sans aucune distance, aux côtés de celle qui surgit constamment dans le monde.

Timur Celikdag s’intéresse lui aussi à la violence, celle des lutteurs, torses nus, sur le terrain de combat. Photographiés de loin, en noir et blanc, ils forment un ensemble d’hommes aux prises les uns avec les autres comme avec eux-mêmes. Leur lutte n’est plus sportive mais vitale, les conduisant à éprouver leur propre force d’existence.

La sérénité revient avec les photographies de Cédric Buchet, qui se concentrent sur des morceaux de terrain à la granulosité et à la couleur à chaque fois différentes. S’agit-il d’une vallée asséchée entre deux montagnes, ou d’une rigole de boue entre deux tas de terre ? L’échelle demeure incertaine. Il nous faut simplement nous projeter dans ces textures, en ressentir l’apaisant anonymat.

«My Way», donc, est une errance à travers un monde essentiellement vide, dont on éprouve tour à tour les soubresauts, les formes creuses et les silences.

Frank Breuer
— Sans Titre, 2003. C-Print, Diasec sur MDF. 57 x 78,5 cm.

Cédric Buchet
— Sans Titre, 2003. Tirage couleur. 51 x 63,5 cm.

Julien Prévieux

— Karl marx le capital section I à Iv, 2006. 80×80 cm (tryptique).

Philippe Meste
— Aquarelle, 1995- 97. Pages de magazine, tâches de sperme. 40 x 30 cm. (chacune).

Philippe Meste
— Combattant Libre (Ultimate fight), 2003. Vidéo couleur. 8’ 20’’.

Frank Perrin
— Street 004, Palm Beach, 2005. Lambda print. 75 x 230 cm.

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