ART | CRITIQUE

My Own Cinema

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Avec « My Own Cinema », la galerie Vallois interroge les liens entre arts plastiques et cinéma en présentant une sélection de travaux qui empruntent au septième art ses codes sémiologiques, son dispositif de projection ou son potentiel fantasmatique.

Après s’être intéressé en 2001 à l’illustration sonore de Metropolis, le célèbre DJ Jeff Mills s’approprie désormais Three Ages de Buster Keaton, faisant travailler de concert des pratiques communes au cinéma et à la musique électronique : le collage, la boucle et la juxtaposition. L’image et le son subissent un traitement similaire de montage pour donner lieu à une composition hybride complètement ludique. Mills s’amuse à isoler une scène particulièrement grotesque, aux gestuelles éloquentes qui, une fois montées en boucle, se calent sur les pulsations de sa musique. Les sons redoublent les mouvements qui se répètent mécaniquement, et cette ponctuation électronique en fait rejaillir tout le comique.
L’exploration des liens possibles entre image et son donne lieu à de multiples combinatoires qui conduisent Mills à réaliser des séquences quasi abstraites jouant sur des effets plastiques : l’image se démultiplie sur la surface de l’écran jusqu’à former un damier psychédéliques dont les palpitations lumineuses rappellent celles des boules à facette.

Nam June Paik, qui est également présent, fait figure de pionnier dans la mise en place de cette écriture fondée sur le montage et le collage, qui décrivait ses vidéos comme «toutes construites en forme de sonates avec thèmes, contre-thèmes, développements, séquences plus ou moins rapides». Rhapsody in RGB porte en son titre cette idée de composition musicale. La sculpture est composée de neuf téléviseurs encastrés dans un meuble kitsch en bois laqué, recouvert d’idéogrammes coréens, dont les pulsations cathodiques suivent chacune un rythme différent et construisent une grille hypnotique.

Cette fascination de l’écran irradiant sa lumière de l’intérieur est également à l’œuvre dans les travaux du photographe Sugimoto qui, à la fin des années soixante-dix, photographiait des drive-in en série, frontalement, livrant le portrait nostalgique d’un grand mythe américain. L’ouverture prolongée de l’obturateur, pendant tout le temps de la projection, annule les images du film pour n’en garder que l’empreinte luminescente, l’indice. Cette mise en abstraction de l’écran de cinéma, le réduit à l’état de trace, avec ce que cela comporte de rapport à la disparition et à la mémoire, mais en fait également le réceptacle possible (et fascinant) de toutes les projections et fantasmes.

L’industrie du cinéma impossible à dissocier de son immense pouvoir de séduction est aussi celle qui construit ces machines à fantasmes que sont les stéréotypes. Avec sa série photographique Untitled Film Stills, Cindy Sherman rejoue de façon troublante cette identification passionnée à un personnage de cinéma.
Les Stills sont ces quelques photographies tirées d’un film, destinées à servir d’appât visuel, comme une publicité. Celles de Sherman obéissent à la formule à suivre, synthétisant chaque fois, par la création d’un personnage féminin excitant les imaginations, d’une mise en scène éloquente, de postures et d’ambiances lumineuses très précises un drame ou une romance de série B.

Dans le même style, le travail de Matthias Müller met également en abîme ces représentations stéréotypées, montant bout à bout des séquences issues du cinéma hollywoodien qui mettent en scène des femmes dans leur chambre à coucher se levant effrayées à l’entente d’un bruit suspect. Les séquences s’enrichissent de ces jeux de similitude et de différences mais font surtout voir les ficelles de cette chorégraphie de l’effroi : jeu avec le hors cadre, la bande musicale à sensation qu’on croirait sortie d’un film de Hitchcock. D’autres artistes comme Saverio Lucarellio ou Joachim Mogarra sont également de la partie, qui «font leur cinéma» avec tout ce que cette expression suggère de fantaisie.

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