ART | CRITIQUE

My Home is Your Home

PPierre Juhasz
@12 Jan 2008

Quelques bibelots en porcelaine, comme des figurines de style rocaille soutenant une théière ou un réveil généreusement doré, sont posés isolés sur un socle, ou bien sont mis en situation sur une table.

Quelques bibelots en porcelaine, comme des figurines de style rocaille soutenant une théière ou un réveil généreusement doré, sont posés isolés sur un socle, ou bien sont mis en situation sur une table.
Quelques toiles peintes parmi lesquelles on rencontre parfois représentées les fameuses figurines, ou leurs semblables, dialoguent, dans une certaine connivence stylistique, avec les objets et leurs installations.
Une vidéo, intitulée « Eye to Eye », prenant comme cadre la seconde biennale de Tirana tenue en septembre 2003, est projetée en boucle et se détache par sa forme des autres œuvres tout en leur apportant une plus-value de sens.
Voilà quelques étapes du parcours que propose la première exposition personnelle d’Alban Hajdinaj, artiste albanais, dont l’œuvre était déjà montrée par la galerie, au cours de l’exposition collective « Présent Perfect », en juin 2003.
Au premier abord, c’est la dimension kitsch des bibelots récupérés par l’artiste (porcelaines et figurines trouvées sur les marchés de Tirana) et présentés en tant que véritables ready-mades d’un genre particulier, qui domine l’ambiance générale de l’exposition.
Pourtant, au-delà d’une simple fascination que peut exercer l’art populaire, ces objets sont pour Alban Hajdinaj des objets critiques. C’est par eux qu’il interroge la société albanaise actuelle, sa récente histoire et sa radicale mutation.
En effet, considérés anciennement par le pouvoir communiste comme vestiges de la bourgeoisie et en conséquence, bannis, ces objets jouissent aujourd’hui d’un nouvel essor lié à une société albanaise fraîchement capitaliste et friande de kitsch. Un mouvement de balancier, comme un retour du refoulé, a ainsi transformé leur statut et leur visibilité. Ces bibelots qui appartiennent, selon l’artiste, à « une culture populiste, d’une société pauvre, ruinée » lui permettent de déployer un geste d’appropriation, puis de mise en espace, qui engendre toute une dimension fictionnelle. Les œuvres peintes participent à leur façon à cette économie générale : non dénuées, elles aussi, d’un aspect kitsch lié à l’imagerie qu’elles représentent, ces peintures de facture assez « classique », dialoguent avec les objets et contribuent à produire la fiction irriguée par une mythologie personnelle, mais aussi, collective.
À travers cette hybridation se produit une sensation de décalage. Sans s’apparenter à une œuvre politique, l’œuvre introduit pourtant, par le questionnement de la société albanaise face à sa récente histoire, la question du politique.
Sous un autre angle, la vidéo présentée poursuit cette démarche. Une femme est assise à sa fenêtre dans sa chambre. Elle observe son environnement habituel, les façades des immeubles d’en face, repeintes par des artistes reconnus internationalement, dans le cadre de la biennale de Tirana. Une voix off commente l’étonnement et l’interrogation de la personne. La voix raconte et par ce qu’elle énonce, entre documentaire et fiction, elle installe une subtile distance, ironique et poétique par rapport à l’image : « Étrangement, elle se demande si elle vit à l’intérieur d’une peinture qu’une main ou un œil gigantesque aurait réalisée suivant son bon plaisir ».
En montrant simplement une femme regardant par sa fenêtre des façades repeintes, – image accompagnée par une narration redondante et, en même temps, un peu décalée -, en jouant dans chaque Å“uvre sur le mélange des genres, Alban Hajdinaj partage son regard doué d’une certaine simplicité, peut-être même d’une certaine virginité, un regard qui croise l’exotique avec, comme l’aurait dit Pérec, l’endotique. Il installe ainsi une Å“uvre singulière et poétique qui interroge non seulement la société albanaise dont il est issu, mais aussi, l’art aujourd’hui et l’art d’aujourd’hui, sa réception, la place qu’il occupe dans l’environnement et dans la société, sa fonction et sa fiction.

Alban Hajdinaj :
— My Home is Your Home, 2003. Peinture à l’huile sur toile. 40 x 50,5 cm.
— My Home is Your Home, 2003. Peinture à l’huile sur toile. 40 x 50,5 cm.
— My Home is Your Home, 2003. Peinture à l’huile sur toile. 40 x 50,5 cm.
— Still Life #1, 1999. Photographie couleur sur aluminium. 60 x 43 cm.
— Still Life #2, 1999. Photographie couleur sur aluminium. 60 x 43 cm.
— Still Life #2, 1999. Photographie couleur sur aluminium. 60 x 43 cm.
— Tea Service, 2003. Ensemble de 5 sculptures par collage d’éléments en porcelaine. Présentation sur une table.
— Clock, 2004. Assemblage d’une horloge et de figurines.
— Clock, 2004. Assemblage d’une horloge et de figurines.
— Clock, 2004. Assemblage d’une horloge et de figurines.
— Clock, 2004. Assemblage d’une horloge et de figurines.
— Eye to Eye, 2004. Vidéo couleur par projection DVD, son. Durée : 4 mn30.

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