ART | CRITIQUE

Mutatis Mutandis. Collection Antoine de Galbert

PPierre Juhasz
@12 Jan 2008

En vis-à-vis des œuvres de Kudo et de Fatmi Mounir, Antoine de Galbert présente pour la première fois une partie de sa collection dans une exposition intitulée Mutatis, Mutandis (littéralement: «en changeant ce qui nécessite d’être changé»).

En vis-à-vis de l’exposition des œuvres de Kudo et de Fatmi Mounir est présentée pour la première fois une partie de la collection d’Antoine de Galbert, sous le titre Mutatis, Mutandis (littéralement, «en changeant ce qui nécessite d’être changé»). On emploie cette expression pour rapprocher deux choses en écartant leurs différences pour les rendre comparables.
Les œuvres, choisies et présentées par le fondateur de La Maison rouge, œuvres qu’il collectionne depuis quinze ans, concernent à leur façon les problématiques ou les obsessions présentes dans l’œuvre de l’artiste japonais: le corps, le corps meurtri, le corps en mutation, le corps broyé par l’Histoire, mutilé, l’homme dans sa chair et sa fragilité, mais aussi la nature, la décomposition et la métamorphose.
Une des œuvres est d’ailleurs de Kudo lui-même: elle présente sous un globe de plexiglas, un jardin de fleurs artificielles et de phallus en germination. On remarquera à travers la variété formelle ou stylistique des œuvres présentées, la cohérence d’ordre thématique.
Ainsi, dès l’entrée de Mutantis Mutandis, sont exposées en introduction deux œuvres troublantes de Jackie Kayser, aux titres d’inspiration lacanienne: coffret à l’ «objet petit a» de 1989 (un objet blanc de forme phallique reposant dans un étrange écrin velu), et Les Autruies de 1992 — sculptures taxidermiques de cochons quelque peu monstrueux, quelque peu jouets en peluche, dans une pose évoquant les trois grâces.

D’autres pièces provoquent cette même sensation d’attraction et de répulsion comme la vidéo de la performance de Patty Chang, Melons de 1998, où on voit l’artiste debout, droite, un plat en équilibre sur la tête, en train de découper son sein gauche et en porter la chair à sa bouche, ou plutôt la chair du melon qui est inséré dans son soutien gorge et que l’on peut prendre, à première vue, pour son sein. Cette esthétique qui effleure parfois ce que l’on nomme le «gore» au cinéma, on le trouve aussi de façon détournée et plutôt humoristique dans l’œuvre monumentale du groupe Gelatin, Opération rose de 2004, où les artistes ont réalisé une architecture d’une salle d’opération baroque et kitsch où des instruments chirurgicaux avoisinent des bocaux, des planches anatomiques un appareil de radiographie et d’autres objets dans un esprit de bricolage, autour de l’accouchement d’une sorte monstre en peluche et plastique rose.

Entre jouet et fantasme, l’installation produit son effet troublant et ludique. D’autres œuvres participent aussi à créer une dimension ludique, avec des relents de surréalisme, comme Agglomération de 2001 ou Sitting de 2002, de Daniel Fitman, où l’artiste imbrique, sur le moulage de son propre corps, des objets. Un amoncellement de chaises surplombe et engloutit ainsi un personnage assis dans la salle d’exposition, troublant le visiteur. L’étrangeté émane aussi de l’imposante et baroque série de Mannequins imputrescibles de Henri Ughetto ou encore d’une sorte de pomme de terre géante réalisée et présentée comme en lévitation, sortant du mur: Home, d’Erwin Wurm, ou encore de la vidéo de Michel Blazy intitulée Voyage au centre, qui, filmée dans son atelier, montre l’éclosion du vivant à partir du pourrissement.

D’autres œuvres, non des moindres, comme celle, photographique de Hans Bellmer – La Poupée, de 1949 – ou de Dado – N° 23, sans titre, toile de 1957 -, ou plus récente, comme la sculpture monumentale de John Isaacs, Is More Than This More than This de 2001, représentant un touriste obèse au corps hybride, ponctuent l’exposition. Quant à la façon dont l’Histoire marque les chairs et les vies, Urakami, de Guillaume Herbaut, œuvre de 2003-2004 est une pièce exemplaire. Il s’agit d’un relevé photographique accompagné de commentaires des meurtrissures consécutives à l’explosion de la bombe atomique à Nagasaki en 1945, à partir de témoignages de personnes ayant survécu et qui portent, marquées dans leur chair, les séquelles de la catastrophe.

De façon générale, les œuvres actuellement présentées à la Maison rouge, parfois en jouant avec le mauvais goût, parfois au risque du malaise qu’elles peuvent produire, comme les œuvres de Tetsumi Kudo et certaines œuvres de l’exposition Mutatis Mutandis, toujours dans une acuité à la réalité et à l’actualité, notamment comme l’œuvre de Mounir Fatmi, interrogent, chacune à leur façon, l’homme dans sa chair et dans son existence, dans son devenir. Elles interrogent son histoire face à l’Histoire, face à la nature, face aux artifices et aux technologies, face au monde.

Mutatis Mutandis. Collection Antoine de Galbert

Hans Bellmer
— La Poupée, 1949. Tirage argentique.

Michel Blazy
— Voyage au centre, 2002. DVD. Pal. Format 4/3. Son stéréo.

Peter Buggenhout
— The Blind Leading The Blind #4_3, 2003-2004. Tréteaux. Vitrine en verre.

Dado
— N°23, 1957. Huile sur toile.

Dominique Figarella
— Sans titre (Chewing-gum), 2000. Chewing-gum. Vernis sur bois.
— Sans titre, 2000. Sparadrap. Acrylique sur bois.

Gelatin
— Operation Rose, 2004. Technique mixte. 400 x 500 cm.

Guillaume Herbaut
— Urakami, 2003-2004. 18 tirages couleur.

John Isaacs
— Is More Than This More Than This?, 2001. Cire, poils, polystyrène, cheveux, plastique, socle en bois.

Richard Jackson
— Toy Bear, 2002. Ours en peluche, bois, peinture blanche et noire.

Jackie Kayser
— Objet petit ‘a’ à la tentation, 1991. Bois, acier, paille, glaise, verre, peau de porc. 207 x 65 x 65 cm.
— Coffret à l’Objet petit ‘a’, 1989. Carton, plâtre, bois, cuir, mousse, velours, soie, perles. 35 x 39 x 20 cm.

Jurgen Klauke
— Transformer, 1972. 6 tirages couleur.

Edward Lipski
— Chinese God, 2006. Technique mixte.

Yayoi Kusama
— Tray, 1965. Technique mixte. 57,5 x 40 x 20,3 cm.

Jonathan Meese
— Kinski – Gott, 2004. Huile sur photo sur Forex.
— Vitrine, 2001-2002. Eléments divers.

Elsa Sahal
— Le bon larron, 2005. Céramique émaillée blanche en 9 éléments sur table socle. Plaque en métal et piétement en acier.

Janaina Tschäpe
— Dreamsequences 1 et 2, 2002. DVD. Ex 1/3. 4’43’’.

Nobuko Tsuchiya
— Micro Energy Etro, 2004. Technique mixte.

Henri Ughetto
— Mannequins Imputrescibles, sans date. Série. Collection de l’artiste.

Wols
— Sculpture, 1937. Tirage argentique.

Erwin Wurm
— Home, 2006. Résine. Acrylique.

Pour voir la critique de Pierre Juhasz sur l’exposition J’aime l’Amérique de Mounir Fatmi, cliquez sur le lien ci-dessous.

critique

J’aime l’Amérique

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