PHOTO | CRITIQUE

Mutations

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Autoportraits doubles et miroïques : compositions oscillant entre collages surréalistes et irisations psychédéliques. La couleur aux tons hallucinatoires déforme les traits dans une spirale abstraite.

Mutations s’ouvre comme les précédents travaux de Lucas Samaras sur l’autoportrait. La galerie exposait déjà, il y a cinq ans, Photo-Transformations, un travail datant des années 1970. Plus récemment Self-Portraits (1990) poursuivait cette mise en scène constante de l’artiste dans ses œuvres.

La nouveauté de cet opus réside dans l’utilisation du traitement numérique de l’image. Mais les bénéfices de cette technique ne sautent pas aux yeux, car les intentions comme les formes d’aujourd’hui sont la continuation d’un travail commencé trente ans auparavant.
Les mêmes interrogations, le même traitement de l’autoportrait est pratiqué. Celui-ci est double, et s’incarne à travers le visage, le corps, la main, il s’enracine par extension dans le quotidien, dans la vie domestique de l’artiste.

Les œuvres représentent l’intérieur à double titre. Imageries de l’inconscient, elles prennent place aussi bien dans le cerveau de Samaras que dans son appartement. La répétition des clichés et le processus de réapropriation permettent un travail de collage. C’est, à l’ère du multimédia, la technique des papiers collés, inventée par le cubisme, qui a été l’apanage du modernisme.

Lucas Samaras se compose une mythologie dont il est le héros autant que le héraut. Figure tautologique, figure du double, figure palindromique, figure de la gémellité, il explose les conventions et se met en scène en se mettant en jeu. Je est le sujet double et à mille facettes des compositions qui rappellent les photomontages des surréalistes de l’entre-deux-guerres, ou celui des collages de Prévert.
Lucas Samaras ajoute à cette prestigieuse filiation un esprit, une couleur toute psychédélique. Le travail chromatique est lui aussi essentiel dans les compositions. Que ce soient dans les tons les plus criards, les plus allumés, ou que ce soit dans le traitement du noir et blanc, le même soin est apporté à faire briller la couleur, à la réhausser.

Le résultat est toujours envoûtant, toujours attirant. Ce travail n’est pas seulement un pur travail formel, il introduit une distorsion dans l’image. Le traitement de la couleur produit un flottement aqueux dans la photographie. La couleur sert de reflet déformant qui transforme le cliché en abstraction, qui conduit du réel vers le non figuratif. La transition s’opère par poésie, par abandon.
Alors que le médium photographique est généralement conçu comme le greffier du réel, Samaras le détourne, le retourne, pour en faire le scrutateur de nos pensées enfouies, refoulées, inconscientes. Avec des tirages très travaillés, avec une attitude de plasticien, de bidouilleur, de gribouilleur, Lucas Samaras obtient des peintures photographiques, comme Arnulf Rainer.
Mais à la différence de celui-ci, son intervention est uniquement photographique. Il ne dessine pas directement sur les tirages, il n’en fait pas des peintures par destination. Toutes les opérations, toutes les interventions par lesquelles il va, toujours avec la même détermination, explorer les méandres de ses lubies et de ses fantasmes jouent sur la répétition. Retravaillées et répétées, les images sont hallucinatoires autant que domestiques. Les associations d’idées ne sont pas le fruit de scènes fantastiques prises ici ou là, non, elles viennent du quotidien, elles s’exhalent des pièces de l’appartement de l’artiste.

Photographies de la déformation, autoportraits fictionnels psychédéliques, le flottement général et la composition aqueuse permettent à la pensée de l’inconscient de se construire dans une narration répétitive. La figure du double, la figure miroïque, la figure du reflet, la figure jumelle permet toutes les audaces, tous les questionnements.
Envoûtants ou dérangeants, ces portraits de l’autocélébration sont des photos de l’ornementation. Ce Facteur cheval de la composition n’est jamais aussi à l’aise que dans ses irisations. Les bouquets qu’il décortique, qu’il éparpille, donnent des compositions pyrotechniques doublées d’unegrande beauté.

Lucas Samaras
— Lbeard 92, 2002. Iris print. 72 x 57 cm.
— Workbnch, 2002. Iris print. 55 x 72 cm.
— Floral, 2002. Iris print. 84 x 84 cm.
— Meme 5, 2002. Iris print. 72 x 58,50 cm.
— Orchid 31, 2002. Iris print. 72 x 56,50 cm.
— Table 27, 2002. Iris print. 72 x 56,50 cm.
— Gift 1, 2002. Iris print. 55 x 72 cm.
— Dickluke, 2002. Iris print. 72 x 54,50 cm.
— Grammess, 2002. Iris print. 89 x 119,50 cm.
— Orchid 44, 2002. Iris print. 72 x 56,50 cm.
— Charbun, 2002. Iris print. 48 x 72 cm.
— Head, 2002. Iris print. 72 x 57 cm.
— Lhead, 2002. Iris print. 72 x 58,50 cm.
— Lbeardst, 2002. Iris print. 72 x 57 cm.
— Diptch, 2002. Iris print. 30 x 45,50 cm.
— Mesht 2, 2002. Iris print. 72 x 57 cm.
— Meshout 8, 2002. Iris print. 72 x 56,50 cm.
— Living, 2002. Iris print. 55 x 72 cm.

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