ART | EXPO

Mr. Memory

PAugustin Besnier
@12 Juil 2011

Martine Aboucaya propose une exposition collective sur le thème de la mémoire. Une certaine humilité face à ce qui nous échappe fait la belle unité des œuvres présentées. Ici, tout n’est pas égal, sauf devant l’oubli. La force est d’avoir su le suggérer avec des artistes de générations et de notoriétés diverses.

«Mr. Memory» est le titre de l’exposition collective présentée à la galerie Martine Aboucaya. Ce titre, vraisemblablement emprunté au personnage des 39 marches d’Hitchcock, n’est pas sans paradoxes. Composée d’une quinzaine d’artistes, l’exposition ne devrait pouvoir répondre à ce nom unique, aussi déclinable soit-il. Nous n’y voyons de plus aucun visage, aucune figure humaine pouvant revêtir cette identité. Excepté une main ici ou là, photographiée par Jérémie Gaulin, scannée par Jacques Roubaud ou filmée par John Wood & Paul Harrison, l’homme est visuellement absent.

On conçoit alors autrement ce «Mr.» qui, en réalité, ne désigne personne. Car ici, la mémoire — manifestement le thème de cette exposition — apparaît davantage comme la marque de l’absence que comme la présence du souvenir. D’où le sentiment prégnant que quelque chose ou quelqu’un est passé par là pour laisser une trace, ou au contraire laisser un vide.

Comme traces, il y a cette phrase coloriée au mur par Douglas Gordon (I am the prophet of my own annihilation) avec, au sol, les pelures des crayons de couleur qui y ont laissé leur peau. Il y a aussi celle de Vittorio Santoro (I wonder how much time I’ve spent for waiting the lights to change) gravée, couleur sang, dans le papier, et, en face de cette scarification, quelques mots écrits sur une main par Jérémie Gaulin (Je me force à oublier, je vais oublier, j’ai oublié). Dans le même registre, nous avons la Main mnémonique de Jacques Roubaud, où se déploie une étrange cartographie dans laquelle les nombres se succèdent sans s’effacer.

De ces quelques œuvres ressortent un recours systématique aux signes alphabétiques ou numériques, et une prédilection pour les supports pauvres. Comme si la mémoire s’apparentait à un travail d’écriture, de transcription, et tenait davantage du processus que de l’objet. C’est encore ce dont témoigne Julien Discrit dans ses Cartes mémoire, en traduisant la mémoire des lieux sous forme de fonctions mathématiques, dont les graphiques sont tracés au crayon sur de simples feuilles de papier.

Côté vide, il y a Felice Varini, dont la figure spatiale dessine un disque «blanc», le blanc étant autant celui de la cimaise que de l’espace qui l’habite. Il y a aussi la surface blanche dans l’affiche de Maïder Fortuné, photographie d’une toile vierge tendue au-dessus d’un sol boueux, faisant office d’écran pour toutes les projections possibles. À proximité, les Bed Photos de Hans-Peter Feldmann — images noir et blanc de lits défaits — sont fixées au mur comme des clichés de lieux de crimes. Plus loin, deux entailles gommées par Anthony McCall dans le graphite jettent deux rais de lumière sur le chaos.
Là encore, les supports et les techniques sont modestes. Mais le vide en est d’autant plus visuel, ou mental, toujours bien non matériel. Car la mémoire n’y est décidément pas celle des monuments, des livres ou des archives, mais révèle plutôt l’indice d’un passage ou un manque à combler. Même la petite sculpture de Christian Boltanski, issue de ses Essais de reconstitutions, relève plus d’une tentative de se souvenir que d’une victoire sur le passé.

Cette humilité face ce qui résiste à la volonté de «faire œuvre», fait la belle unité de l’exposition. Comme toujours dans le cas des expositions collectives proposées par une galerie, on ne sait s’il faut y juger la qualité des œuvres prises individuellement ou la cohérence du choix qui les regroupe. Ici, tout n’est pas égal, sauf devant l’oubli. La force est d’avoir su le suggérer avec des artistes de générations et de notoriétés diverses.

Å’uvres
— John Wood & Paul Harrison, Notebook, 2004. Video Couleur, Son. 49′ 40″
¬— Hans-Peter Feldmann, Hat With Photo, sd.
— Jérémie Gaulin, Ne pas oublier de se rappeler de se souvenir, 2011. Photo couleur sur papier. 21 x 31 cm
— Jacques Roubaud, Main mnémonique II, sd. Tirage couleur A3.
— Christian Boltanski, Reconstitution en terre réalisée le 14 juin 2004 d’un essai de reconstitution en pate à modeler effectué le 16 décembre 1970 d’une grosse voiture en bois qui fut offerte à Christian Boltanski le 6 septembre 1949
— Maïder Fortuné, Blank Sheet, 2011. Tirage n&b sur papier affiche A1
— Felice Varini, Carré bleu noir rouge et jaune au disque blanc, Paris, 2011. Dimensions variables

 

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