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Mouvement n°25

Dossier spécial « déracinements » ou la déterritorialisation vue par des auteurs et des acteurs de la culture en France. Et toujours des articles sur les arts visuels (Mark Handforth, Édouard Levé), la danse, le théâtre, etc. pour être au fait de ce qui se fait à Paris et ailleurs.

— Rédacteur en chef : Jean-Marc Adolphe
— Éditeur : Mouvement, Paris
— Parution : novembre-décembre 2003
— Format : 30 x 22,50 cm (inclus le supplément musiques Octopus)
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 112
— Langue: français
— Prix : 6 €

Édito : Points de fuite
par Jean-Marc Adolphe

« Trop d’artistes ? ». Voici quelques semaines, ce titre claquait en couverture d’un grand hebdomadaire. Le simple fait que la question puisse aujourd’hui être posée indique assez que la « culture », comme d’autres pans de la vie publique, est soumise à un « contrat d’objectifs » où la mathématique comptable tient lieu d’horizon politique. La réforme du régime de l’intermittence entre dans ce mode de calcul. Pour soigner le « déficit » de l’assurance chômage, on préfère restreindre le nombre d’allocataires plutôt que d’envisager la prise en compte d’un nouveau rapport au travail auquel aspirent les nouvelles générations, et pas seulement dans les milieux artistiques ! Tout au contraire, le gouvernement actuel entend « réhabiliter le travail » en promulguant des dispositions qui esclavagent les conditions mêmes de l’emploi. Le vote prochain de la décentralisation du RMI et de la mise en place du Revenu minimum d’activité (RMA) vont dans ce sens. Etrange manière de combattre « l’insécurité sociale » que de précariser le plus grand nombre pour maintenir les profits de quelques-uns. Dans la religion de la productivité, tout ce qui n’est pas immédiatement rentable est désigné comme charge inutile, surplus, maillon faible à éliminer de la compétition. Lui-même improductif au sens où l’entendent les ultra-libéraux, « l’État-providence » forgé après la Seconde Guerre mondiale est en voie de démantèlement. Au « trop d’État » lancé le 14 juillet dernier par le Président Chirac fait écho cette profession de foi du ministre de la Culture à l’Assemblée nationale, le 24 octobre dernier : « l’État doit, philosophiquement et politiquement, se départir de cette sensation qu’il a parfois eu d’être dans notre pays l’alpha et l’oméga de toute initiative culturelle ». Cela tombe bien, si l’on peut dire : pour les États-Unis, la « diversité culturelle » (la faculté de développer des aides publiques nationales) est l’un de ces fardeaux qui contrarient l’hégémonie sans partage des industries du divertissement. Et cette bataille est engagée au sein de l’Unesco, pour faire place nette aux seules règles du commerce.

Le débat sur la « mondialisation », qui se développe aujourd’hui à l’échelle de la planète toute entière, porte à juste titre sur des choix économiques lourds de conséquences. Mais ce faisant, il laisse dans l’ombre une autre mondialisation, ou plutôt une « mondialité » pour reprendre l’expression d’Édouard Glissant, qui s’invente dans ce que la domination rejette à sa périphérie. Ces résistances à l’œuvre sont aujourd’hui le creuset d’une culture nouvelle de « l’en-commun », où les artistes -inventeurs ne seront pas de trop pour façonner en langues, corps et images, les contours d’un imaginaire qui puisse infuser dans le réel cette simple évidence: l’humain est l’avenir de l’humain. C’est à découvert que se dessinent les points de fuite qui permettront de construire de nouvelles perspectives. Courage, le chemin sera peut-être long.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de Mouvement)

L’auteur
Jean-Marc Adolphe est rédacteur en chef de la revue Mouvement