ART | CRITIQUE

mounir fatmi

PAnne Lehut
@24 Jan 2011

C’est une véritable ambiance de chaos technologique qu’a installée mounir fatmi à la galerie Hussenot. Explorant toujours le choc des cultures, entre Orient et Occident, «Between the Lines» est une exposition toute en nuances, faite de confrontations, de mises en tension, pour se prémunir des idées manichéennes.

Les versets du Coran constituent un matériau formel de première importance pour mounir fatmi. Mais ce sont des confrontations que le sens (ou la bousculade d’un sens préexistant) émerge: Goethe, Goya, Chaplin, Duchamp, sont ici convoqués.
Cette exposition est une grande machine, qui attrape le spectateur: on ne peut qu’être saisi en entrant par le bruit assourdissant qui émane d’une succession d’engrenages. Modern Times, a History of the Machine est une installation vidéo imposante, toute en longueur. Le titre fait directement référence au film de Chaplin. L’aliénation de l’homme à la machine semble inchangée aujourd’hui; à ceci près que les rouages sont ici en partie composés de versets du Coran…

On retrouve ces versets, pris dans des formes circulaires, avec Technologia, autre installation vidéo vertigineuse pour les sens, car les cercles tournent sur eux-mêmes, à une vitesse folle. L’allusion aux Rotoreliefs de Marcel Duchamp est transparente. L’industrialisation, l’hypnotisation des masses et de leurs forces…
Ces deux installations soulèvent à elles seules une multitude de questions, de constats mesurés sur le monde actuel. Mais dans cette «guérilla symbolique» (Paul Ardenne), il faut souligner la grande force plastique des œuvres — fascinantes et inquiétantes — surgit de tout ce mouvement.

Le monde de la machine, ainsi que l’administration et ses absurdités, est en question dans Mehr Licht, installation composée de photocopieuses. Ici, ce sont des néons qui sont mis à copier. Vaine opération… Si la lumière est indispensable à l’apparition de l’image, comment la saisir en tant que telle? mounir fatmi interroge les conditions de production des images, celles qui circulent aujourd’hui si facilement, si rapidement, et qui sont d’une transparence douteuse. À la fois, le titre plaide pour plus de vérité, de savoir. «Mehr licht» (plus légèrement): ce sont les derniers mots que Goethe aurait prononcés avant de mourir.

La diffusion de l’information est un thème récurrent dans le travail de mounir fatmi, notamment à travers ses «tableaux» réalisés en câbles coaxiaux de télévision, dont on peut voir un exemple à la galerie. Ces câbles ne transportent plus l’information, ils dessinent des arabesques qui sont autant de boucles fermées, presque autoritaires.

mounir fatmi tisse tout un monde de correspondances, donnant ainsi une permanence à ce qui pourrait apparaître comme un travail profondément lié à la plus récente actualité. Dans Et pourtant elle tourne! Révolution #1, sont placés côte à côte une calligraphie arabe et une reproduction (cadrée dans une forme circulaire) d’un tableau de Goya, L’Enterrement de la sardine évoquant une fête populaire, bien plus inquiétante que gaie. Invitation à se méfier de ce qui se donne à voir au premier regard, ou de ce qui peut se cacher derrière l’image et le texte? Le choc des cultures est fécond.

À l’étage de la galerie, dans la vidéo Mixology (2010) un DJ mixe sur des platines, ornées là encore de versets arabes. Le son prend difficilement forme, comme si la religion résistait à s’accorder avec le plaisir de la musique. Là encore, c’est l’inquiétude qui gagne. La table de mixage semble, par moments, être plus un tableau de contrôle d’une arme de destruction. La temporalité de la vidéo est très étrange, et plonge le spectateur dans une violence sourde.

«Between the Lines»: il faut lire entre les lignes. Ce que mounir fatmi donne à voir n’est jamais univoque. C’est un travail qui bouscule, réveille de vieilles habitudes intellectuelles. Le choc des cultures qu’il propose n’est jamais une simple opposition entre Orient et Occident: il est plus subtil, nous parle de l’autre, de nous, et d’un monde qui se veut global.
L’exposition de mounir fatmi saisit le spectateur de manière physique, tout en l’invitant à rationaliser sa pensée, à ne pas se laisser submerger. Il faut y courir…

Mounir Fatmi

— Kissing Circle #3, 2010-2011. Câble d’antenne coaxial sur contreplaqué, vitrine en plexiglas. 60 x 80 x 5 cm
— Modern Times a history of the machine, 2009-2010. Vidéo animation
— Technologia, 2009-2010. Vidéo animation
— Merh Licht!, 2009-2011. Installation, photocopieurs, néons. Dimension variable selon installation
— Et pourtant elle tourne! Révolution #1, 2010-2011. Vinyle, peinture. 73 x 41 cm
— Mixologie, 2010. Vidéo
— Les Chutes, 2010. Calligraphie en acier découpé. Dimension variable selon installation
— Mécanisation #1. 2010-2011. Tapis, collage

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