ART | CRITIQUE

Mood Mixer

PSarah Ihler-Meyer
@22 Sep 2009

En tant que terrain de chasse des sciences cognitives et de l’industrie du divertissement, la sphère des affects et des passions irrigue le travail de Mario Milizia. Avec Mood Mixer et Jubilant Hallucination l’artiste déjoue les classifications pour rendre les sentiments à leur irréductibilité.

Huit Mood Mixers sont fixés aux murs de la galerie Jousse entreprise. Il s’agit d’une classification des affects ou, plus justement, d’une «combinatoire des sentiments». Chacun des Mood Mixers est composé de deux disques blancs sur lesquels sont inscrits des mots de plusieurs champs lexicaux: ceux des affects, des pathologies, des traits de caractères ainsi que des drogues.
Chaque émotion fait face à une maladie, à un caractère ou à un stupéfiant, mais, en tournant le disque du dessus, les combinaisons de mots se défont et se reforment à l’infini pour obtenir des alliages tels que «raging-regret», «bitter-bipolar» ou encore «catatonic-bitterness».

Ainsi, ce qui se présente comme une classification rigide se révèle être une classification folle, non opératoire. En effet, si chaque émotion peut se combiner avec n’importe quel trait de caractère, n’importe quelle pathologie et n’importe quelle drogue, alors il est impossible d’en établir une typologie.

Ici la rationalisation des passions —l’une des ambitions des sciences cognitives—, croule sous son propre objet. En ce sens Mario Milizia s’inscrit dans la continuité d’une certaine pratique de l’art conceptuel, notamment celle d’Edward Rusha, de Douglas Huebler ou encore de Dan Graham.
Selon Hal Foster dans Le Retour du réel, si chacun de ces artistes récupère un système de classification du monde, c’est pour mieux le détourner, car chacun d’entre eux se montre «conscient de l’hubris d’un tel projet».

Avec la vidéo projection Jubilant Hallucination, Mario Milizia s’en prend cette fois-ci à l’industrie du divertissement. Des images d’un concert live montrent une foule aussi indistincte que la scène. C’est que, flouté par ses propres pixels, le film donne simplement à voir une masse qui se gondole au gré de la musique et des jeux de lumières. La confusion, la couleur et le son dominent, sans doute pour rappeler que le concert est avant tout un condensé de sensations. Et, c’est précisément sur ce point que porte la critique de Milizia. En effet, ce dernier a trafiqué la bande son de la vidéo de telle sorte que pour une seule séquence filmée fonctionne toute une gamme de musiques, de Madona à Armin van Buuren: ce qui semblait être un film de longue durée est en fait une seule scène passée en boucle.
De fait, pour chaque instant du concert, depuis l’attente des fans jusqu’à leur explosion en phase avec la musique et la lumière, correspondent toutes sortes de morceaux.

Mario Milizia révèle ici le principe même de l’industrie du divertissement, à savoir le formatage de la musique en fonction d’affects primaires. On pense ici à Adorno et à sa conception du jazz: un produit pour libérer les pulsions de la masse aliénée et lui faire ainsi accepter sa condition. Là où l’on croit librement éprouver une sensation, on se découvre soumis à une logique autoritaire.

Mario Milizia
— Mood Mixer (x8), 2009. Technique mixte. Dimensions variables.
— Jubiliant Hallucination, 2009. Vidéo. 20’’.

AUTRES EVENEMENTS ART