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mon amour

Loin, ailleurs, avec mon amour, Thomas Ferrand est fidèle à ses déclaration d’intention.
Une démarche qui se constitue en allant voir ailleurs s’il y est et dans laquelle il revendique ne pas avoir de ligne de conduite esthétique.
L’année dernière, l’Extase de Sainte Machine, offrait un homme immobile qui finissait par pleurer tandis qu’une femme effectuait la moitié d’un tour imperceptible, un sourire de plus en plus grinçant figé sur le visage. L’inconfort du spectateur mais aussi sa pleine conscience du spectacle était alors en jeu.
Mon amour se situe dans un autre des lieux possibles du théâtre. Il s’agit d’une étude du texte du Dom Juan de Molière à travers sa mémorisation totale par le comédien Laurent Frattale.
En malmenant le texte, en brouillant sa logique narrative, les deux interprètes parviennent à en extraire l’essence vitale: le désir prédateur de Dom Juan ne serait qu’une fuite éperdue causée par l’irrémédiable fin de l’existence.

Les limites du blanc sous-sol de la Ménagerie sont déformées par la scénographie de Salladhyn Khatir -que les fidèles à Claude Régy connaissent certainement- plafond strié de bandes oranges flottantes, sol fleuri, lumière fluctuantes. Lorsque le spectateur entre dans la salle, Laurent Frattale l’attend, baigné par les infra-basses. Il est rejoint par Virginie Vaillant et l’on saisit l’importance du geste dans l’écriture de la pièce. Ils effectuent une danse de prise de pouvoir de Dom Juan sur la belle Charlotte. L’enchaînement de postures se trouve aussi malmené que le texte, la comédienne s’approprie lentement des parts entières des tirades de Dom Juan, en commençant par «je vous aime»tandis qu’il peut dire la sienne. Après avoir été manipulée, elle se manipule. Elle reprend même en la moquant le passage de l’éloge de l’hypocrisie, livre en flammes à la main. Les rôles se mêlent dans le rythme enlevé des reprises et inversions.

Mon amour se joue du motif de répétition du texte et du geste. Ce faisant, Thomas Ferrand n’épuise pas le langage, ne l’assèche pas mais le rend à ses multiples dimensions: il est plus que la parole, échappe au locuteur, est à la fois son articulé et mouvement, se répercute dans l’espace. Ainsi considéré, le langage est poème et cela est toujours bon à dire.