PHOTO

Mohamed Bourouissa

Alexandrine Dhainaut. Pourrais-tu détailler le processus de création d’une image ? Combien y a t-il d’étapes dans ton travail photographique ?
Mohamed Bourouissa. Je dirais qu’il s’organise en quatre étapes principales. La première étape consiste à arriver sur les lieux et rencontrer les gens. Je fais d’abord des photos de repérage et je passe du temps avec les gens. J’essaie de voir comment fonctionne l’espace dans lequel je me trouve et la manière dont les gens s’approprient le lieu.

Comment choisis-tu les lieux ?

Mohamed Bourouissa. Il faut que je me balade. Je prends quelques photos que j’analyse ensuite chez moi. Dans un deuxième temps, je réalise une mise en scène, c’est-à-dire un dessin préparatoire à la réalisation d’une photographie. Je mets en scène deux ou trois personnages (selon le nombre de modèles que j’ai à disposition) dans un espace par rapport à une idée, que ce soit celle de la justice comme pour La République, La Fenêtre ou l’arrestation avec La Prise. Ensuite, je réalise un autre croquis. Suite à cela, je repars sur les lieux et je demande aux gens sur place de rejouer une scène et de se placer dans l’espace. La dernière étape consiste à faire des choix. Par exemple, pour « Périphéries », vingt-cinq photographies ont été présentées mais j’en avais réalisé trente au total. Je les rassemble et les observe chez moi. Il faut qu’elles mûrissent. J’essaie de voir si une image « tient le coup » pour la présenter à la galerie. Si l’image est assez juste, si elle est polysémique, si elle est visuellement forte, tant au niveau de la composition que du sens, je la présente à la galerie, à mes amis et à plusieurs personnes différentes. Et, en général, celles que je choisis conviennent.

Les modèles avec lesquels tu travailles sur place peuvent-ils te donner leur avis ? Est-ce qu’ils t’influencent ?

Mohamed Bourouissa. Oui. Parfois, une main ou un geste posé de telle ou telle manière est le fruit d’une proposition de l’autre. Même si la composition est déjà pré-établie, il existe une part d’improvisation mais que je qualifierais de « contrôlée ». Souvent les gens ont des idées beaucoup plus pertinentes que ce que je peux proposer. Je travaille surtout l’espace et la façon dont on dispose les personnages. Ensuite, il arrive que des gestes proposés par l’autre soient plus naturels et plus justes.

En matière de mise en scène, est-ce que Florence Paradéis, qui a été ton professeur à l’Ecole nationale des arts décoratifs, a influencé ta pratique ?
Mohamed Bourouissa. Elle n’a pas tout à fait orienté ma pratique. C’est davantage son discours qui m’a fait choisir la mise en scène. Plusieurs paramètres entraient en jeu. Le sujet de la banlieue était souvent représenté d’une manière documentaire ou sociale, et essayer de le mettre dans le champ de l’art était une forme d’opposition à une certaine représentation, à certains clichés sur la banlieue. Son discours sur l’image, « qu’est-ce qu’une image ? » m’a effectivement influencé. Elle nous a appris à être moins crédules par rapport aux images. La mise en scène était devenue évidente par rapport aux sujets et aux gens que je voulais photographier.

On peut voir, de manière flagrante ou dissimulée, toutes les retouches que tu apportes à tes photographies. Est-ce que cette phase de retouche est systématique dans ton travail ?
Mohamed Bourouissa. Non, pas obligatoirement. Une image intitulée Le Groupe, qui n’est pas présentée dans l’exposition mais qui est dans le catalogue, a été retouchée pour les besoins de la mise en place. Le personnage à l’extrême gauche apparaissait sur une image différente, mais pas dans cette composition-là, ni avec ces gestes-là. Je l’ai donc inséré. L’expression du visage du personnage au premier plan a également été retouchée parce qu’elle était meilleure sur une autre photographie. Certaines retouches me paraissent importantes pour ce qu’elles peuvent apporter à l’image, mais ce n’est pas systématique. Selon moi, la retouche ne doit pas aboutir à une image artificielle. Chaque image doit se tenir et tous les procédés sont bons.

La retouche enrichit parfois tes photos. Dans Le Miroir, le graffiti « Baise la police » à droite de l’image est reporté de façon symétrique à gauche. Ce petit détail fait écho à la fois au titre et au sujet de cette image : un groupe se reflétant dans une flaque géante.
Mohamed Bourouissa. Ah, enfin quelqu’un qui le voit ! J’avais le choix d’enlever totalement cette phrase mais par rapport au titre et aux lignes qui régissent la photo, il était effectivement intéressant de jouer sur la symétrie. Il s’agit d’un petit détail qui ne paraît rien. Mais ces rajouts sont comme des indices que je laisse pour rebondir dans l’image.

Et le mot « Argenteuil » qui semble tomber en même temps que la bouteille dans La Bascule a aussi été rajouté ?

Mohamed Bourouissa. Non, c’est un hasard. Il y était déjà. Au même titre que « Baise la police », j’aurais pu l’enlever mais l’écriture permettait ici d’avoir une circulation intéressante, un mouvement qui partait du bras du personnage vers le mur et tournait autour de cette bouteille. Les retouches servent à un jeu de composition qui dynamise une circulation dans l’image.

C’est d’ailleurs ce jeu de composition dans ton travail qui évoque inévitablement des peintres tels que Delacroix, Géricault ou Piero della Francesca. Mais parmi les artistes contemporains, quels sont ceux qui retiennent ton attention ?

Mohamed Bourouissa. Il ne s’agit pas obligatoirement de photographes, même si je suis fasciné par le travail de Philip-Lorca DiCorcia, Alberto Garcia Alix ou Paul Pouvreau. Je considère que mon travail est influencé par deux branches. D’une part, une école de la mise en scène, beaucoup plus conceptuelle, autour de Jeff Wall par exemple ; et d’autre part, des gens qui ont travaillé l’humain tels que Nan Goldin, ou Alberto Garcia Alix. J’essaie de faire se rejoindre les deux, en faisant coexister une relation intime avec les gens et une relation plus distante par la mise en scène. J’aime également les artistes qui font des installations comme Claude Lévêque ou Kader Attia avec qui j’ai travaillé. Les références sont multiples dans le sens où une image comme Le Reflet avec les téléviseurs peut être considérée comme une installation photographique.

Quel est ton point de vue sur la réception de ton travail en France, par rapport au Brésil où tu étais en résidence. Est-ce que le sujet brûlant des banlieues en France influe sur la lecture de tes images, au point d’en oublier quelquefois les qualités plastiques ?

Mohamed Bourouissa. Non, pas du tout. Tout dépend évidemment du regardeur. En France, je trouve normal que l’on me parle des banlieues, je ne dois pas le nier puisque les photographies ont été faites en banlieue, avec des gens de banlieue. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un travail artistique avant tout. Mon travail ne répond pas aux questions que l’on se pose sur la banlieue. Cela ouvre des champs, celui de la représentation d’un sujet qui n’a pas été traité en art, mais en aucun cas, cela répond à des problématiques sociales. Ce n’est pas ce que j’essaie de faire.

Je n’ai pas présenté beaucoup de travaux au Brésil. Cela intéressait des gens mais là-bas, l’art est dans la vie. Il est beaucoup plus social. À Rio de Janeiro, par exemple, les artistes sont beaucoup plus engagés. Le peu de personnes qui ont vu mon travail, m’ont surtout demandé comment vivent les gens que je photographie. Mon travail peut être perçu comme un travail social alors qu’en France ou en Allemagne, on le regarde d’une manière beaucoup plus plastique.

Est-ce que tu peux me parler de ton nouveau projet à Pantin, dans le cadre du Festival « Photos et légendes » qui commence le 13 novembre 2008 ?

Mohamed Bourouissa. Ce sont toujours des mises en scène, mais prises depuis une prison, à partir de téléphones portables. Je recevais des documents, ensuite je redessinais des images que je renvoyais à mon tour par téléphone. Je donnais des consignes aux détenus, une sorte de cahier des charges. C’est un travail basé sur l’échange, mais assez compliqué à gérer du fait de la distance. La démarche de ce travail a été d’autant plus saine qu’elle n’a pas été filtrée par les institutions.

Dans l’exposition à Pantin, tu vois plus ou moins les images à une certaine distance, puis elles deviennent floues à mesure que tu t’approches. Je les ai volontairement gonflées. L’œil n’arrive pas à s’y poser, à faire le point. Même si les images que je montre sont des vraies images qui existent matériellement, elles t’échappent complètement. Le procédé même de réalisation, la provenance et l’existence de ces images aboutissent à quelque chose qui n’est pas captable ou palpable. J’ai essayé de donner un sens logique à tout cela. On m’a dit « tu aurais pu les faire plus petites ». Mais je voulais les faire en grands formats pour qu’elles échappent à l’œil. Tu ne fais que glisser dessus comme tu ne peux pas capter l’eau. Même si les images sont matériellement présentes, ton œil ne peut pas les attraper.

Tu as une formation de peintre, est-ce que tu peins toujours ?
Mohamed Bourouissa. Non, j’ai arrêté mais je dessine toujours. J’aimerais me tourner vers l’installation.

Es-tu tenté par la vidéo ?

Mohamed Bourouissa. Oui. En ce moment, je suis les cours d’Arnaud Despallière au Fresnoy, qui a réalisé Adieu, ou Disneyland, mon vieux pays natal. Il joue beaucoup sur la frontière entre fiction et documentaire. Je prends des cours sur Final cut, Pro tools, etc., et je regarde beaucoup de vidéos, à la fois des vidéos d’artistes comme celles de Gary Hill que j’aime beaucoup, mais aussi des films. À vrai dire, je suis en train de réaliser un film mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant…
.