ÉCHOS
15 Juin 2011

Ministère de la Culture: «Les chaises musicales comme science»

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Le ministère de la Culture vient de supprimer le poste de directeur du centre d’art de la Villa Arson (Nice), occupé par Éric Mangion depuis six ans.

La décision a donc été prise en haut lieu de supprimer le poste de directeur du centre d’art de la Villa Arson, occupé par Éric Mangion depuis six ans. Cette décision, nécessairement, a bien dû être prise par des «gens». Ces gens, au ministère, j’adorerais qu’ils aient un nom, qu’ils aient par ailleurs le magnifique courage de s’expliquer publiquement sur l’étrange jeu auquel ils jouent seuls, qu’ils nous expliquent les règles de leur passe-temps.

Ceux qui ont la mémoire longue, fidèle, ou simplement honnête, ceux qui ont connu Christian Bernard à l’œuvre dans ce même lieu, auront retenu les principes de ce qu’il nommait lui-même une « auberge espagnole ». Ces principes qui misaient sur l’efficacité pédagogique de la rencontre et du dialogue, de la fête et de la convivialité, les premiers artistes que j’ai eu la chance de rencontrer, issus de cette école, en témoignent encore aujourd’hui. De Philippe Ramette à Philippe Mayaux, de Jean-Luc Verna à Jean-Baptiste Ganne… Tous sont à même de rendre compte de cet enseignement anti magistral en marge et en complément de l’école.

Si ce lieu a une renommée exceptionnelle, si son histoire s’apparente à un miracle français, c’est en partie parce qu’une certaine idée de la pédagogie y a été expérimentée, vécue, avec le plus grand succès.
Eric Mangion n’a aucunement trahi cette philosophie, faisant en sorte que la mécanique de la transmission cesse d’être un effort et se mue en flux naturel. Le principe en serait un dispositif d’aimantation et de séduction entre les différentes générations. C’est aujourd’hui le cas avec la magnifique exposition monographique consacrée à Bernard Heidsieck dialoguant avec l’installation du collectif de L’Encyclopédie de la parole. Comme ce fut le cas avec les expositions de l’été 2008, À la bonne heure! de Jean Dupuy et Mais qu’est-il arrivé à cette musique? d’Arnaud Maguet.

Cette tradition d’ouverture, de frottement, d’énergie et de sympathie, Eric Mangion a su l’adosser à une exigence et une rigueur professionnelles qui lui ont valu d’être appelé, parallèlement, à d’autres prestigieuses directions artistiques (Printemps de septembre à Toulouse, exposition Gérard Gasiorowski au Carré d’art de Nîmes…).
L’on saisit bien que tout ce que j’avance là doit paradoxalement s’apparenter à des qualités à charge, des vertus disqualifiantes au regard de nos inspecteurs. Comment ces méthodes, ces pratiques qui gouvernent la vie seule et seulement la vie, la beauté des rencontres et l’effusion des intelligences pourraient être prises en compte dans leurs audits et dossiers d’expertise ?

Décidemment, j’adorerais rencontrer ces personnes, qu’elles soient amenées à divulguer les critères qu’elles ont forgés, les fantasmes de compétitivité et de rentabilité qui les motivent tandis que le chantier de transformer les écoles d’art en sous-écoles de commerce leur est échu.

L’on constate par ailleurs la multiplication des nominations fautives et hasardeuses à la tête des institutions culturelles. Tel poste attribué simultanément à deux postulants. Telle direction dépendant d’une décision locale, imposée contre toute attente et toute logique démocratique par le ministre de la Culture lui-même, comme ce fut le cas de la nomination de Macha Makéïeff à la tête du théâtre La Criée à Marseille. Comme ce fut le cas avec le scandaleux parachutage d’Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon. Coup de force gouvernemental court-circuitant les collectivités locales financeurs du Festival. Coup de force absurde et grossier, irrespectueux du travail restant à accomplir par les deux directeurs actuels, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, qui venaient d’être reconduits pour deux années.

Que le jeu pénible et honteux des chaises musicales ait toujours constitué une part des attributions de nos décideurs ministériels est une chose avérée. Mais il semblerait aujourd’hui que cette pratique paresseuse soit devenue le seul objet de leur fonction. Une sorte de hobby, pratique véritablement amateur, dénué de règles, où l’effort consiste simplement à tenter de masquer son propre caractère aléatoire. N’importe qui n’importe où de préférence!

Oui, vraiment, j’aimerais que nos décideurs puissent rendre compte de leurs oukases d’enfants gâtés et pleins d’ennui. Oh, oui, qu’ils nous révèlent les brillants fondements de leur passe-temps. Qu’ils nous livrent la source de leur science. Hormis, peut-être, dans les édifiants numéros de Beaux-Arts magazine consacrés aux classements des meilleures écoles des beaux-arts, aux best of d’artistes à la mode, aux calibrages des œuvres qui font tendance, nul ne sait dans quels mystérieux textes ils ont su puiser les prolégomènes de leur science.

D’où la première certitude, la seule assurément, se faisant jour dans ce conte sordide ; ce sont toujours les moins bons connaisseurs de l’art qui se prévalent de définitions parmi les plus tranchées de ce que doit être l’art, et par là même un centre d’art.

Lire sur paris-art.com:
Affaire Eric Mangion: suite et fin?
Encore un poste supprimé à la culture

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