ART | INTERVIEW

Mié Coquempot

PCéline Piettre
@20 Fév 2008

Engagée dans un duo sonore avec un piano ou un flutiste, en corps-instrument muni de capteurs électroniques, la chorégraphe Mié Coquempot explore la relation entre la danse et la musique. Rencontrée suite à son intervention au colloque de Paris X-Nanterre consacré à la danse contemporaine (décembre 2007), elle revient sur son parcours et présente ses projets à venir.

Céline Piettre. Vous avez étudié le piano et la musique pendant 10 ans, au Conservatoire de Genève. Cette formation est-elle à l’origine du lien entre la danse et la musique dans votre travail chorégraphique ?
Mié Coquempot. La musique et la danse sont systématiquement associées, depuis toujours. Même si elles se distinguent, en tout cas d’un point de vu social, la musique étant comprise, intégrée par tous. Ce qui est différent pour la danse.
Du fait de mon parcours, de ma formation musicale, je ne peux pas utiliser la musique comme un socle, comme une illustration ou de façon atmosphérique. Je me dois de proposer un regard exigeant sur la musique, qui interroge davantage la structure, l’analyse, la composition que j’aime rendre proche de « l’écriture » chorégraphique. Même si je n’apprécie pas ce terme « écriture ». Je lui préfère le mot « langage ».

Avec Piano solo, en 2001, vous jouez une partition chorégraphique sur un piano, au moyen de votre corps ? Cela fait-il de vous une danseuse ou musicienne ?
Mié Coquempot. Les deux. Dans ce travail, qui prend forme en 2000 avec Solo table et aboutit, en 2005, à la version concert de Trace/Piano, j’ai cherché la fusion entre la musique et la danse, pour qu’elles soient (enfin !) équivalentes à tous points de vue. Pour éviter l’assujettissement de l’une sur l’autre. Et aussi pour additionner les spécificités de l’une à l’autre.
Au départ, j’ai écris puis appris cette partition sur une table, confrontant ma danse à un espace restreint. Les sons et la rythmique produits par l’impact de mon corps avec cet objet me semblaient musicaux. J’ai voulu approfondir l’expérience, en passant de la table au piano, de la percussion pure à la mélodie, augmentant par là les potentialités de composition musicale. J’ai donc fini par danser cette partition au piano ou jouer au piano cette danse. Tout dépend de la façon dont on l’appréhende. Voir la musique, entendre la danse, c’est finalement ce que j’ai recherché.

En 2005, vous créez Sans Objet, une pièce fabriquée sur un mode aléatoire en étroite collaboration avec l’œuvre musicale de Earle Brown, Tracking Pierrot.

Mié Coquempot. Pour moi, Sans Objet est l’aboutissement de mes recherches précédentes sur le renouvellement des relations entre la danse et la musique. La structure de la représentation est construite d’après et avec la partition musicale de Earle Brown. Les musiciens – l’ensemble 2e2m en France et Contrechamps en Suisse – sont les interprètes de la pièce au même titre que les danseurs. La relation entre eux est primordiale. Tous sont soumis à une partition et aux suggestions du chef d’orchestre.
Les danseurs réagissent à la musique selon une partition chorégraphique et spatiale, les musiciens modifient leur interprétation en fonction des réponses chorégraphiques des danseurs. Á chaque nouvelle présentation, le corps de l’oeuvre varie selon les « directions » que le chef d’orchestre engage – chronologie, tempi, durées, déclenchements.

Cela oblige les interprètes à une écoute attentive de l’autre. Qu’en est-il du public ?
Mié Coquempot. Dans Sans Objet, les danseurs ne sont pas en monstration. Ils n’ont pas le temps de l’être. Quand nous sommes sur scène, c’est impossible pour nous de penser à notre relation au public, à ce que nous sommes en train de construire dans l’espace. On interprète ce que l’on entend pour influencer à notre tour la partition musicale. Tout ça doit se faire en une fraction de seconde. C’est une expérience vraiment spécifique, qui fait appel aux réflexes des exécutants, à une réactivité immédiate, presque inconscience. Le public décèle, petit à petit, les accidents de parcours qui laissent apparaître « l’action vraie ». De là naît une complicité, le rire, l’émotion.

Et pour le danseur, c’est éprouvant ?
Mié Coquempot. Á la fin de la représentation, nous sommes épuisés. On est des survivants, au sens littéral du terme, c’est-à-dire qu’on a vécu quelque chose d’hyper vivant. L’interprète est dépassé par lui-même, il se surprend lui-même et c’est ce qui m’intéresse. C’est de la vie dont il est question ici, avec ces accidents et ses imperfections, son imprévisibilité qui force l’homme à s’adapter continuellement.
Ce travail m’a permis d’atteindre un degré d’interprétation de l’ordre de l’exceptionnel. Je pense que l’on peut arriver aux mêmes sensations avec une écriture chorégraphique classique. Mais moi je n’y parviens pas. Moi, j’ai besoin de cette contrainte.

Avec Pulse, en 2007, vous continuez à travailler avec les instrumentistes. Mais cette fois, dans un duo avec le flûtiste Jean-Philippe Grometto de l’ensemble 2e2m, où il est question du souffle et de la pulsation…
Mié Coquempot. En effet. Ensemble, on va construire une partition de souffles, face au public, sans instrument, sans pupitre. Pour le musicien, l’enjeu est important. Il est véritablement exposé. Il ne peut plus, comme à son habitude, se cacher derrière son instrument, sa partition, le morceau à exécuter. On souffle sur le public. C’est un rythme, une musique. Nous partageons les codes de nos pratiques avant de jouer chacun de « notre instrument », comme un prélude à la chorégraphie et la musique à venir.

Á propos de cette expérience, vous dites vouloir « explorer l’entre du plein et du vide d’une pulsation ». Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus ?
Mié Coquempot. Le plein, c’est le moment où l’on décèle la pulsation, le vide c’est quand elle n’est plus perceptible. Je me place donc du point de vue de la perception, de l’autre. Mon exploration porte sur ce qui se passe entre deux battements, cette transition entre le vide et le plein, entre le perçu et le non perçu, entre la fin d’un temps et le début d’un autre, attendu. C’est le « passage » qui m’intéresse.

Allez vous passer un jour du souffle à la voix ?
Mié Coquempot. J’ai déjà chanté, mais j’ai mis ça de côté pour le moment. Par contre, en 2004, j’ai travaillé avec des capteurs pour tenter de transformer mes mouvements en signal musical. C’était dans OM2PPGI, un petit format d’une vingtaine de minutes où je portais une combinaison de plongée augmentée de 12 capteurs, situés au niveau des articulations principales et déclencheurs de sons. Ainsi, avec la collaboration du compositeur Suguru Goto, je devenais instrument et instrumentiste. Mais cela n’a pas fonctionné comme je l’espérais.

C’était très contraignant physiquement ?
Mié Coquempot. Il fallait que je réfléchisse comme une machine, et c’est bête une machine. Enfin, quand on ne connaît pas son potentiel. Ce n’est pas une recherche aboutie. A vrai dire, c’est encore en projet…

Et justement, quels sont vos projets pour l’avenir ?

Mié Coquempot. Je viens de terminer Bande originale, une pièce pour six interprètes que j’espère faire tourner la saison prochaine, notamment dans le cadre du festival Artdanthé en décembre 2008. Bande originale questionne le cinéma, mais en direction de la danse. Á nouveau, j’expose, je transpose les codes de l’un pour les appliquer à l’autre, et ça opère. Ça nous a permis d’interroger la « gestique » de l’acteur, ses « déclencheurs » de mouvement. Bien sûr, je n’ai absolument pas omis de travailler sur le son, comme le titre l’indique. Je crois que le son dans le cinéma est le vecteur principal d’émotion, il lui donne de l’espace et nous, spectateurs sommes immédiatement invités à entrer dans cet espace. Donc, nous avons créé une bande son, en live, mais nous avons fait aussi appel à Bérengère de Tarlé, plasticienne de son pour accompagner ce projet.

J’ai entendu parler d’Agony, une création multimédia où le personnage principal est à la fois instrument, chef d’orchestre, machine…
Mié Coquempot. Oui, mais c’est une pièce qui s’annonce douloureuse, pour l’interprète et aussi pour le public parce qu’Agony le place dans une position de voyeur et d’otage. Je ne sais pas encore si j’aurai la force de mener l’expérience jusqu’au bout. Je voudrais éviter de succomber à la tentation du sadisme. Même si cette cruauté pour l’acteur comme pour le spectateur est peut-être une voie à explorer…

AUTRES EVENEMENTS ART